Les territoires, cette autre fracture française
Les parallèles hâtifs sont toujours dangereux. Comparer l’ampleur de la mobilisation nationale française au chevet des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy dévastées par l’ouragan Irma au séisme économique subi par de nombreuses villes moyennes de l’Hexagone n’a guère de sens. Et pourtant. A leur manière, ces confettis antillais réputés pour leurs villas de milliardaires d’un côté et les régions métropolitaines en difficulté de l’autre témoignent d’une identique réalité: l’affaissement problématique du lien entre les territoires, à l’aube de ce quinquennat marqué du sceau de la «transformation».
Comment continuer, dans ce pays jacobin et centralisateur confronté aux inégalités croissantes entre ses différentes régions et villes, à faire tenir ensemble la France métropolitaine et d’outre-mer, bousculée par la mondialisation sous toutes ses formes: économique, sociale, climatique, criminelle…? Comment ne pas craindre, à l’heure où Paris s’apprête à célébrer l’attribution des Jeux olympiques d’été 2024, une fracture territoriale encore plus béante? Les Antilles, on le voit avec le passage dévastateur d’Irma, restent spectatrices de leur destin. Tout vient de métropole et de Paris, ou presque: garantie de l’approvisionnement, de la sécurité, processus d’indemnisation. Bien qu’intégrés à la République, ses lointains territoires sont orphelins de leur autonomie. La France, à l’aube du XXIe siècle, n’a toujours pas réconcilié géographie et politique.
Les ouvrages-coup de poing du géographe Christophe Guilluy sur la France périphérique ou le Crépuscule de la France d’en haut (Flammarion) ont finement diagnostiqué cette maladie territoriale tricolore. D’un côté, un épicentre du pouvoir partagé entre Paris et les grandes métropoles, entourées de leurs banlieues réservoirs de main-d’oeuvre légale et illégale. De l’autre: une «périphérie» mouroir réduite à patienter. Les Antilles, vues de Paris, ne sont que tourisme, déluge de subventions publiques et villégiatures ensoleillées. Les provinces rurales du centre de la France, comme toute une partie de la Bretagne, vivent au rythme des crises qui secouent l’agriculture. Le nord n’en finit pas de panser sa désindustrialisation. A chaque fois, le même constat: une lente dégradation de l’environnement économique, et une logique pernicieuse d’assistance. Paris débourse. Le président de la République vient vous rendre visite. L’idée d’une France en escalier s’impose avec, en bas des marches, des territoires trop éloignés des bassins d’emplois et des centres de décision.
Emmanuel Macron avait eu l’intuition de cette fracture et d’y apporter, durant sa campagne, une réponse originale et percutante: celle d’Internet. Alors que les partis politiques se paupérisent comme les territoires sur lesquels ils n’ont finalement plus de prise – les élections sénatoriales du 24 septembre seront un bon test –, le mouvement En Marche! avait su renouveler l’offre et créer, avec son porte-à-porte et son maillage électronique, une nouvelle égalité territoriale. Le «marcheur» antillais et celui de la Creuse pouvaient, devant leurs écrans, avoir le sentiment de faire partie d’un mouvement national. Une brèche avait été ouverte que l’appellation «En Marche!» démontrait assez bien.
Le début du quinquennat a vite tourné cette page, malgré la nomination alléchante d’un ministre chargé, justement, de la «cohésion des territoires». «En Marche!», devenu la «République en marche», a perdu sa ferveur militante pour se concentrer sur la gestion délicate de ses élus. Le non-cumul des mandats, et le fait que ces jeunes députés macronistes n’ont pas d’attaches municipales et d’enracinement local, ont fait le reste. Pourquoi s’attarder sur les territoires puisque tout se décide à Paris, où «Jupiter» s’emploie à «transformer» la France? La fracture est réapparue. Les villes moyennes, en besoin urgent de revitalisation entrepreneuriale, sont sorties du radar présidentiel. L’urgence d’un plan «Marshall» pour le retour des commerces en centre-ville est ignorée. La redistribution version Macron doit, pour convaincre les territoires, s’émanciper au plus vite de cette charité post-catastrophe.
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