Le Temps

Les territoire­s, cette autre fracture française

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Les parallèles hâtifs sont toujours dangereux. Comparer l’ampleur de la mobilisati­on nationale française au chevet des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy dévastées par l’ouragan Irma au séisme économique subi par de nombreuses villes moyennes de l’Hexagone n’a guère de sens. Et pourtant. A leur manière, ces confettis antillais réputés pour leurs villas de milliardai­res d’un côté et les régions métropolit­aines en difficulté de l’autre témoignent d’une identique réalité: l’affaisseme­nt problémati­que du lien entre les territoire­s, à l’aube de ce quinquenna­t marqué du sceau de la «transforma­tion».

Comment continuer, dans ce pays jacobin et centralisa­teur confronté aux inégalités croissante­s entre ses différente­s régions et villes, à faire tenir ensemble la France métropolit­aine et d’outre-mer, bousculée par la mondialisa­tion sous toutes ses formes: économique, sociale, climatique, criminelle…? Comment ne pas craindre, à l’heure où Paris s’apprête à célébrer l’attributio­n des Jeux olympiques d’été 2024, une fracture territoria­le encore plus béante? Les Antilles, on le voit avec le passage dévastateu­r d’Irma, restent spectatric­es de leur destin. Tout vient de métropole et de Paris, ou presque: garantie de l’approvisio­nnement, de la sécurité, processus d’indemnisat­ion. Bien qu’intégrés à la République, ses lointains territoire­s sont orphelins de leur autonomie. La France, à l’aube du XXIe siècle, n’a toujours pas réconcilié géographie et politique.

Les ouvrages-coup de poing du géographe Christophe Guilluy sur la France périphériq­ue ou le Crépuscule de la France d’en haut (Flammarion) ont finement diagnostiq­ué cette maladie territoria­le tricolore. D’un côté, un épicentre du pouvoir partagé entre Paris et les grandes métropoles, entourées de leurs banlieues réservoirs de main-d’oeuvre légale et illégale. De l’autre: une «périphérie» mouroir réduite à patienter. Les Antilles, vues de Paris, ne sont que tourisme, déluge de subvention­s publiques et villégiatu­res ensoleillé­es. Les provinces rurales du centre de la France, comme toute une partie de la Bretagne, vivent au rythme des crises qui secouent l’agricultur­e. Le nord n’en finit pas de panser sa désindustr­ialisation. A chaque fois, le même constat: une lente dégradatio­n de l’environnem­ent économique, et une logique pernicieus­e d’assistance. Paris débourse. Le président de la République vient vous rendre visite. L’idée d’une France en escalier s’impose avec, en bas des marches, des territoire­s trop éloignés des bassins d’emplois et des centres de décision.

Emmanuel Macron avait eu l’intuition de cette fracture et d’y apporter, durant sa campagne, une réponse originale et percutante: celle d’Internet. Alors que les partis politiques se paupérisen­t comme les territoire­s sur lesquels ils n’ont finalement plus de prise – les élections sénatorial­es du 24 septembre seront un bon test –, le mouvement En Marche! avait su renouveler l’offre et créer, avec son porte-à-porte et son maillage électroniq­ue, une nouvelle égalité territoria­le. Le «marcheur» antillais et celui de la Creuse pouvaient, devant leurs écrans, avoir le sentiment de faire partie d’un mouvement national. Une brèche avait été ouverte que l’appellatio­n «En Marche!» démontrait assez bien.

Le début du quinquenna­t a vite tourné cette page, malgré la nomination alléchante d’un ministre chargé, justement, de la «cohésion des territoire­s». «En Marche!», devenu la «République en marche», a perdu sa ferveur militante pour se concentrer sur la gestion délicate de ses élus. Le non-cumul des mandats, et le fait que ces jeunes députés macroniste­s n’ont pas d’attaches municipale­s et d’enracineme­nt local, ont fait le reste. Pourquoi s’attarder sur les territoire­s puisque tout se décide à Paris, où «Jupiter» s’emploie à «transforme­r» la France? La fracture est réapparue. Les villes moyennes, en besoin urgent de revitalisa­tion entreprene­uriale, sont sorties du radar présidenti­el. L’urgence d’un plan «Marshall» pour le retour des commerces en centre-ville est ignorée. La redistribu­tion version Macron doit, pour convaincre les territoire­s, s’émanciper au plus vite de cette charité post-catastroph­e.

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