Des escadrilles de lobbyistes au Breitling Sion Airshow
Les cinq entreprises qui convoitent le juteux achat d’avions de combat par la Confédération investissent le Breitling Sion Airshow. Décideurs et entrepreneurs ont reçu des invitations
Dassault, Lockheed Martin, Airbus, Saab et Boeing. Ces développeurs d’avions de combat sont présents dès aujourd’hui au Breitling Airshow à Sion, le plus grand meeting aérien de Suisse. Et ce n’est pas la perspective d’accueillir sur leur stand le grand public qui les attire dans le chef-lieu valaisan. L’événement prend une tournure très politique cette année.
Plusieurs parlementaires membres des Commissions de la politique de sécurité confirment avoir reçu des invitations de l’un ou l’autre des constructeurs. Le conseiller aux Etats Jean-René Fournier (PDC/VS) déroule son programme: «Je vais ouvrir une séance du Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM) vendredi matin. Samedi, j’irai à un apéritif de Dassault puis j’assisterai à l’événement normalement.» Le conseiller national Roger Golay (MCG/GE) a prévu d’assister à une présentation d’Eurofighter. Ce passionné d’aéronautique précise: «Je ne suis pas sous la houlette des lobbyistes, je serais de toute manière allé au meeting sédunois.» Lockheed Martin, le producteur américain du F-35, a aussi invité les médias à s’essayer à un simulateur de vol et à un «briefing». C’est un VIP, Gary North, le vice-président du programme F-35, division «exigences clients», qui s’y collera.
Huit milliards pour 30 à 40 avions
Cet activisme n’est pas un hasard. En octobre dernier, nous révélions que tant Lockheed Martin que Saab s’étaient déjà adjoint les services d’un bureau de lobbying et de communication. Mais aujourd’hui, les choses sérieuses commencent. Après une première discussion le 6 septembre, le Conseil fédéral devrait se pencher une nouvelle fois ce vendredi sur l’avenir de la sécurité aérienne en Suisse. A la suite du refus par le peuple en mai 2014 de l’achat de 22 Gripen, l’ambition désormais est de remplacer l’entier de la flotte d’avions de combat, à savoir 54 Tiger et 30 F/A-18, ainsi que de renouveler la défense sol-air, en bout de course.
Selon une information du Tages-Anzeiger, le conseiller fédéral Guy Parmelin propose au collège l’achat de 30 à 40 avions ainsi que d’une défense antiaérienne pour un total de 9 milliards de francs. La facture a donc presque triplé par rapport aux 3,126 milliards soumis au vote en 2014. Cela explique aussi l’intérêt d’avionneurs qui n’avaient pas répondu à l’appel d’offres la fois précédente. Guy Parmelin souhaiterait ainsi faire tester cinq appareils, précisément de ceux qui ont fait le déplacement de Sion: le F-35 de Lockheed Martin (USA), l’Eurofighter d’Airbus (UE), le Rafale de Dassault (France), le Gripen de Saab (Suède) et le F/A-18 Super Hornet de Boeing (USA).
150 entreprises romandes inscrites
Les décideurs ne sont pas les seuls à être invités à Sion. Le Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM) profitera de la présence des constructeurs pour informer les entrepreneurs romands des possibilités d’affaires compensatoires. Cent cinquante sociétés se sont inscrites. Les cinq avionneurs se livreront à une courte présentation, selon un document que nous avons pu consulter, tout comme le Bureau des affaires compensatoires à Berne.
Armasuisse a revu ses principes d’acquisition l’an dernier. Avec un idéal: 30% des affaires compensatoires devraient se faire en Suisse romande à l’avenir. Dans le cas présent, cela signifie que les industriels romands pourraient toucher 3 milliards de francs de retombées directes et indirectes. «A Sion, c’est la première étape, qui consiste à mettre en contact les entreprises ro mandes intéressées avec les cinq avionneurs, explique Philippe Zahno, secrétaire général du GRPM. Aucune de ces entreprises ne fabrique des armes. Ce sont avant tout des sous-traitants dont certains bénéficient encore de retombées de l’achat des F/A-18.»
Alors que le Conseil fédéral n’a pas encore pris de décision de principe, le lobbying développé à Sion est pointé du doigt à gauche. «Je trouve cela insupportable. Nous sommes en train de discuter de la stratégie à adopter et il y a déjà des gens qui font du lobbying et parlent d’affaires compensatoires», critique le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU). La direction du Parti socialiste se montre désormais ouverte à l’achat de 20 à 30 avions de combat, afin d’assurer une «police des airs solide», comme l’a dévoilé la presse dominicale. Mais la manière dont les avionneurs évoluent dans ce débat reste délicate pour le parti à la rose. Aux critiques, Jean-René Fournier (PDC/VS) rétorque: «La fois passée, je me suis aussi fait informer par Dassault, ce qui ne m’a pas empêché de soutenir le Gripen.»
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«Samedi, j’irai à un apéritif de Dassault puis j’assisterai à l’événement normalement»
JEAN-RENÉ FOURNIER, CONSEILLER AUX ÉTATS