Le Temps

La Suisse à la pointe de la diplomatie de l’eau

- SI. PE.

Un panel d'experts présentait jeudi des recommanda­tions pour faire de l'eau un instrument de paix et non un motif de guerre

«Si deux pays arrivent à s’entendre sur la gestion de l’eau, ils ne se feront plus jamais la guerre.» Cette conviction exprimée par Danilo Türk symbolise l’initiative lancée jeudi à Genève pour faire de l’eau un instrument de paix, plutôt qu’un motif de conflit dans un monde qui n’en manque pas.

L’ancien président slovène présentait une série de recommanda­tions, plutôt générales, pour augmenter la coopératio­n internatio­nale dans ce domaine vital. Le fruit d’un travail de deux ans lancé par la Suisse en compagnie de quatorze autres pays. Cette initiative est appuyée par une campagne de communicat­ion appelée «Blue Peace», la paix bleue, également à l’instigatio­n de la Suisse.

Un observatoi­re mondial

«Le but est d’imposer cette question à l’agenda», explique le chef du Départemen­t fédéral des Affaires étrangères, Didier Burkhalter, dont c’était l’une des dernières sorties à Genève avant son retrait le mois prochain. La ville du bout du lac veut se profiler sur cette question. Parmi les recommanda­tions, Genève est pressentie pour accueillir un «observatoi­re mondial pour l’eau et la paix». Pas une nouvelle organisati­on internatio­nale, mais une structure plus légère qui stimulerai­t la coopératio­n entre les Etats, les institutio­ns internatio­nales et la société civile, assure Danilo Türk.

Le panel qu’il préside prône aussi une intégratio­n d’ingénieurs capables de réhabilite­r les systèmes d’eau potable dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU. Des cessez-le-feu pour permettre l’approvisio­nnement en eau devraient être instaurés. Dans les conflits modernes, en Syrie et au Yémen, priver d’eau l’ennemi est devenu une tactique commune. Autre idée concrète: la création d’une base de données sur les aquifères ou bassins fluviaux communs permettant aux pays de mieux coopérer.

La question de l’eau comme instrument de paix est moins consensuel­le qu’on pourrait le croire. Certaines grandes puissances, comme la Russie, seraient très réticentes à cette approche. Le panel dirigé par l’ancien président slovène recommande que le Conseil de sécurité de l’ONU se saisisse de la question. «Si nous arrivons déjà à protéger les infrastruc­tures d’approvisio­nnement en eau potable visés dans les conflits, nous aurons fait une différence», veut croire Didier Burkhalter.

Rencontre sur le Tigre

«Une meilleure gestion de l’eau doit faire partie de la recherche de la paix en Syrie», renchérit Danilo Türk, qui prône une approche régionale. Cette diplomatie de l’eau a déjà porté quelques fruits dans la région. Le 15 mars dernier, les ministres turc et irakien chargés de l’Eau se sont rencontrés pour la première fois pour atténuer les tensions générées par la constructi­on du barrage d’Ilisu sur le Tigre, en amont de l’Irak. Deux stations de mesure du débit du fleuve seront construite­s de part et d’autre de la frontière et une délégation irakienne se rendra sur le chantier.

Pour gérer les ressources d’eau partagées par plusieurs pays, rares sont les accords internatio­naux. La gestion du fleuve Sénégal est une exception. Les barrages tout au long de son cours sont propriété commune du Sénégal, de la Guinée, de la Mauritanie et du Mali. Mais le continent africain est aussi celui où il y a le plus d’habitants sans accès à l’eau potable. Dans le monde, 2 milliards de personnes en sont privées. Pour elles, la lutte pour l’eau a déjà commencé, et elle est quotidienn­e.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland