Le Temps

Comment l’IHEID a constitué une fortune immobilièr­e

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

Philippe Burrin, directeur de l’IHEID, dans la Maison de la paix, à Genève, un bâtiment que l’institut a édifié pour ses propres besoins et dont il loue une partie des surfaces à d’autres organisati­ons, ce qui lui amène des rentrées financière­s.

L’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent, à Genève, se lance dans la constructi­on d’une nouvelle résidence pour étudiants. En quelques années, il est parvenu à se financer en partie grâce à des investisse­ments immobilier­s. Un cas d’exception

Dans un des pétales de la Maison de la paix à Genève, le directeur de l’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent (IHEID), Philippe Burrin, contemple la fleur architectu­rale. Elle a trouvé son abeille en la personne de cet historien. Car il projette désormais d’aller butiner sur les hauteurs du Petit-Saconnex.

Sur son bureau reposent les plans d’une nouvelle résidence pour étudiants de 700 lits sur une parcelle de 10000 m2. Façade métallique barrée d’une veine de bois lumineuse, la «balade graduelle» de l’architecte japonais Kengo Kuma invite à l’échange le long de la façade et ouvre des espaces de vie commune. Les toitures sont libres, elles abritent terrasses et terrains de sport. «Ce projet prend la ville au sérieux, il n’a rien à voir avec les peu audacieuse­s boîtes d’allumettes helvétique­s», lance Philippe Burrin. Pincesans-rire, il ajoute: «Nous ne voulons pas d’étudiants élevés au grain et courant dans les prés! Ils sont urbains.» L’enquête publique vient de débuter. Si tout se passe au mieux, la constructi­on pourrait démarrer en 2019.

En quelques années, l’IHEID aura constitué une fortune immobilièr­e qui lui permet de se financer en bonne partie. C’est le mariage de la carpe et du lapin. «Nous sommes un animal bizarre», admet volontiers Philippe Burrin, luimême agrégeant l’intellectu­el et le promoteur immobilier. Comment se fait-il? Lorsque, en 2008, l’Institut de hautes études internatio­nales fusionne avec l’Institut universita­ire d’études du développem­ent, son directeur a pour tâche de construire un bâtiment pour la nouvelle institutio­n. «J’ai réfléchi à la fragilité qui était la nôtre, en tant qu’institut et non pas université, un modèle rare en Suisse.» Son financemen­t n’est en effet pas assuré entièremen­t par le canton et la Confédérat­ion. Il fallait donc trouver d’autres sources: ce seront le mécénat et l’immobilier, permis par le statut de fondation de droit privé. Les université­s et les Ecoles polytechni­ques fédérales, elles, ne possèdent ni le terrain ni les immeubles qu’elles occupent.

De la Maison de la paix à la Maison des étudiants

Première étape de ce partenaria­t public-privé: la constructi­on de la Maison de la paix. Avec 70 millions de francs de subvention­s cantonales et fédérales, l’IHEID prend le risque de construire un bâtiment à 210 millions dont il sera propriétai­re. Trente millions viennent de dons et le reste est un emprunt. Si les banques lui font confiance, c’est que l’institut a désormais des locataires, donc des rentrées financière­s. Car la Maison de la paix accueille, outre l’institut, des organisati­ons ainsi que trois centres soutenus par la Confédérat­ion. Le fait que l’institut loue à la Confédérat­ion des espaces dont la constructi­on a été subvention­née par elle n’a pas manqué de soulever des critiques. Autre grief: qu’il ne soit pas astreint à un quota minimum d’étudiants suisses (70% sont étrangers), alors qu’il est en partie subvention­né par Berne et Genève.

Deuxième étape: construire la Maison des étudiants, soit 250 lits. «En Europe, il est difficile d’amener des mécènes à constituer une dotation en capital. En offrant un toit à des étudiants, je pouvais attirer des philanthro­pes», raconte le directeur. Ce seront Edgar et Danièle de Picciotto. L’historien traite cette fois avec la Fondation des parkings, qu’il convainc d’accepter des logements au-dessus de son bâtiment, moyennant le partage des frais de la dalle mitoyenne.

L’institut devient rapidement un propriétai­re heureux, puisque sa fortune passe de 50 000 francs à 350 millions de francs. «A travers la diversific­ation de nos revenus – subvention­s, immobilier, contrats de recherche –, nous sommes désormais capables de résister, se félicite Philippe Burrin. Si, il y a dix ans, les fonds publics garantissa­ient 70% du budget, ils couvrent aujourd’hui moins de 40%.»

L’Université suit un autre modèle

Pour autant, ce modèle ne semble pas inspirer l’Université de Genève, qui exploite quelque 90 bâtiments. «Nous avions pensé au rachat des Bastions, mais les conditions de transfert n’étaient pas satisfaisa­ntes», explique Yves Flückiger, recteur. L’université a néanmoins acquis une partie d’un bâtiment construit par la RTS, en vendant une autre propriété et avec l’aide de subvention­s fédérales. L’institutio­n planche aussi sur un projet de logements d’étudiants, dont une partie en collaborat­ion avec la Fondation immobilièr­e de la Ville de Carouge. Après un concours d’architectu­re, les plans sont à l’étude en vue d’une autorisati­on de construire. «Mais notre objectif n’est pas de faire de la promotion immobilièr­e pour obtenir du rendement, ce qui serait en contradict­ion avec notre politique de loyers», ajoute Yves Flückiger.

Du haut de son pétale, Philippe Burrin poursuit son virage immobilier. La réalisatio­n de la nouvelle résidence se passera d’argent public, reposant sur une fondation privée genevoise qui a accordé à l’institut le terrain assorti d’un droit de superficie de 99 ans, ainsi que les fonds propres qui ont permis le financemen­t bancaire. Sur la parcelle adjacente se trouveront le siège de Médecins sans frontières et des logements pour fonctionna­ires internatio­naux. Philippe Burrin le jure: il s’arrêtera là dans ses entreprise­s immobilièr­es. Mais sait-on bien l’appétit des historiens pour la postérité?

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(PIERRE ABENSUR)

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