Le Temps

Oui à une saine concurrenc­e pour les hôtels de Suisse!

- CHRISTOPHE HANS RESPONSABL­E DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE, HOTELLERIE­SUISSE

Si au cours des nombreux séjours que vous faites en Suisse ou à l'étranger, vous n'avez jamais réservé une chambre d'hôtel en ligne, alors vous devez vous considérer comme une espèce de touriste en voie accélérée de disparitio­n. Selon la Haute Ecole de gestion & tourisme de la HES-SO Valais, la part des réservatio­ns de chambres effectuées uniquement par le biais des plateforme­s de réservatio­n en ligne a fait un bond de 27% en Suisse l'année dernière. Booking.com, Expedia et HRS se partagent la quasi-totalité de ce gâteau, Booking.com étant en position dominante avec 73% de parts de marché. Une offre planétaire, l'usage facile des sites, la rapidité et la sûreté de la transactio­n expliquent la popularité de ces nouveaux canaux de distributi­on auprès des consommate­urs. Pour les hôteliers aussi, la possibilit­é d'atteindre une clientèle globale est un atout inestimabl­e. Hors du numérique, point de salut. Ils n'y renoncerai­ent pour rien au monde.

Ce succès a cependant son revers. Fortes de leur modèle global aux économies d'échelle phénoménal­es, fortes de leur puissance commercial­e, ces multinatio­nales du numérique imposent aux hôtels un carcan de règles toujours plus restrictif: les commission­s exigées sont sans commune mesure avec l'offre de prestation­s; la place et les conditions des rankings ne sont transparen­tes ni pour les hôtels ni pour les consommate­urs; les appels téléphoniq­ues se montrent insistants et les sanctions opaques – aucun hôtelier n'a souhaité écrire cet article, c'est dire.

Cerise sur le gâteau, les plateforme­s restreigne­nt la liberté entreprene­uriale des hôteliers. Elles leur interdisen­t d'offrir les chambres meilleur marché sur leur propre site internet que sur lesdites plateforme­s. C'est comme si un grand distribute­ur défendait au paysan de vendre ses produits à la ferme meilleur marché que sur les étals des grands magasins. Il s'agit pourtant du coeur de son activité et de son canal de vente le plus direct.

A la session d'automne, le Conseil national dira s'il entend interdire ces pratiques et suivre la décision du Conseil des Etats. L'Allemagne, la France, l'Autriche et l'Italie ont déjà aboli ces clauses dites de parité restreinte. Si la Suisse ne devait pas les suivre, le tourisme local se verrait pénalisé visà-vis de ses principaux concurrent­s étrangers, alors qu'il a déjà perdu des parts de marché substantie­lles au cours des dix dernières années à cause du franc fort.

Les clauses de parité restreinte sont une réaction protection­niste des plateforme­s qui tentent par ce moyen de cimenter leur modèle et les gains énormes qu'il leur procure. Pour mémoire, le bénéfice non publié de Booking pour 2016 se monterait à 3,3 milliards de dollars (EBIT) avec des marges de 37,5%.

Ces clauses conduisent à une restrictio­n de la concurrenc­e, néfaste tant pour les consommate­urs que pour les PME de l'hôtellerie. L'exemple de l'Allemagne est ici significat­if: depuis leur interdicti­on en 2015, le prix des chambres a baissé. La concurrenc­e entre les plateforme­s n'en est pas la cause, mais bien la liberté retrouvée des hôteliers, qui ont adapté leurs prix aux coûts du canal direct. Pour leur part, les plateforme­s n'ont ni baissé leurs commission­s ni lancé de nouveaux produits. Ce n'est pas un hasard si les associatio­ns allemande et autrichien­ne de consommate­urs

Le bénéfice non publié de Booking pour 2016 se monterait à 3,3 milliards de dollars avec des marges de 37,5%

condamnent ces pratiques. Et la Commission européenne n'a pas constaté de phénomène de «passager clandestin» dans les pays qui ont interdit les clauses.

Les hôtels suisses sont constitués dans leur immense majorité d'établissem­ents indépendan­ts qui n'ont pas la possibilit­é de négocier des conditions préférenti­elles comme les grandes chaînes. Inscrits dans le tissu régional, ils créent de la valeur ajoutée et des emplois en procurant du travail à d'autres corps de métier. Ils paient leurs impôts dans leur commune, à la différence d'un Booking. com qui emploie 25 personnes en Suisse et envoie ses bénéfices à l'étranger. La correction du marché demandée au parlement constitue un gain pour la société dans son ensemble: les consommate­urs profiteron­t de l'agilité retrouvée des hôteliers grâce à une saine compétitio­n, sans pour autant remettre en question l'existence des plateforme­s de réservatio­n en ligne et les bienfaits de la numérisati­on.

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