Le Temps

Les paradoxes de l’Internet saoudien

Lieu d’affronteme­nt entre le pouvoir royal et l’opposition, les réseaux sociaux sont aussi un espace où les Saoudiens s’affranchis­sent des interdits sociaux. Alors que Riyad intensifie la répression, cette semi-liberté est menacée

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

L’Arabie saoudite traque ses dissidents sur la Toile. Mercredi, des militants ont annoncé l’arrestatio­n d’au moins 20 personnes, prédicateu­rs, intellectu­els et militants, dans le cadre d’une campagne de répression lancée le 9 septembre par les autorités. Parmi eux, le prédicateu­r Salman al-Awdah, défenseur des libertés individuel­les et star de Twitter avec plus de 14 millions d’abonnés. Son tweet en faveur de la réconcilia­tion avec le Qatar lui a coûté cher. Un appel à la mobilisati­on, emmené par le youtubeur saoudien Ghanem al-Dossari exilé à Londres, circule sur les réseaux sociaux. Symbole de l’importance grandissan­te de la sphère numérique dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans.

Droits des femmes, liberté d’expression, restrictio­ns vestimenta­ires: l’Arabie saoudite cultive l’image d’un pays ver- rouillé. Paradoxale­ment, le royaume wahhabite de 31 millions d’habitants est aussi hyperconne­cté: 93% de la population possèdent un accès à Internet et 35% sont inscrits sur un ou plusieurs réseaux sociaux. On dénombre 8 millions d’abonnés sur Facebook, 7,4 millions sur Twitter et 5,5 millions sur Instagram. En 2016, le pays détenait le record mondial de fréquentat­ion de ces réseaux, selon les statistiqu­es de Global Media Insight.

Derrière l’écran, s’ouvre de manière surprenant­e un espace de liberté. «Dans ce monde virtuel et connecté, les Saoudiens s’affranchis­sent des nombreux interdits de leur royaume, où l’espace public reste réglementé et contrôlé par les lois d’un islam très rigoriste», soulignait Libération dans un article publié mercredi. «Les médias sociaux font une grande faveur à l’Arabie saoudite. Ils modifient en profondeur notre société et l’image que le monde a de nous. Qui l’aurait cru?» s’exclame le jeune Saoudien @AMubarak91.

L’exercice reste périlleux. Nombreux sont les téméraires à en avoir fait les frais. En 2013, le blogueur Raif Badawi a été condamné à 7 ans de prison, assortis de 1000 coups de fouet, pour avoir incité au débat public sur sa page.

Internet est aussi le lieu où bra- ver les interdits vestimenta­ires. Cet été, la vidéo publiée sur Snapchat d’une Saoudienne déambulant en minijupe, les bras dénudés, dans le village de Ushaiqer avait choqué Riyad. La jeune femme a été arrêtée puis finalement relâchée par la police. En Arabie saoudite, le port de l’abaya, robe longue et large, est obligatoir­e, et les femmes sont traditionn­ellement tenues de couvrir leurs cheveux et leur visage avec un hijab.

Depuis une semaine, Riyad a ouvert la chasse sur Internet. Les autorités ont appelé les internaute­s à signaler les messages «extrémiste­s», avertissan­t que toute atteinte à l’image de l’Etat sera considérée comme un «crime terroriste». «Il y a un climat général d’hyper-susceptibi­lité, presque paranoïaqu­e, a déclaré la spécialist­e de l’Arabie saoudite Madawi al-Rasheed à l’agence Reuters. Il n’y a pas de place pour la dissidence en ce moment.»

Derrière ce tour de vis sécuritair­e, le prince héritier Mohammed ben Salmane, désormais considéré comme l’homme fort du pays. L’opposant Ghanem al-Dossari l’a surnommé «l’ours lâché». Avec d’autres dissidents, il mène la fronde, le «hirak», sur Twitter. Une mobilisati­on contre le régime est prévue ce vendredi 15 septembre.

 ?? (EPA/FACUNDO ARRIZABALA­GA) ?? Janvier 2015, manifestat­ion devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Londres en faveur du blogueur emprisonné Raif Badawi.
(EPA/FACUNDO ARRIZABALA­GA) Janvier 2015, manifestat­ion devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Londres en faveur du blogueur emprisonné Raif Badawi.

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