Le Temps

Comprendre les troubles des jeunes

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Un enfant sur cinq dans le monde est touché par une psychopath­ologie. Le chercheur Sébastien Urben s’attelle à saisir les raisons de son apparition. Ses travaux ont été récompensé­s mercredi par le Prix Frutiger 2017

SÉBASTIEN URBEN UNITÉ DE RECHERCHE DU SERVICE UNIVERSITA­IRE DE PSYCHIATRI­E DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT DU CHUV

Psychose infantile, troubles du comporteme­nt, hyperactiv­ité, anxiété, dépression… Selon l'OMS, un enfant sur cinq dans le monde est atteint d'une maladie psychique ou d'un trouble du comporteme­nt. Autant d'affections générant de multiples souffrance­s, tant pour les personnes concernées que pour leurs proches.

Mieux comprendre le développem­ent de ces psychopath­ologies, et tenter de trouver des outils pour en atténuer les symptômes: telle est la mission que s'est fixée l'Unité de recherche du Service universita­ire de psychiatri­e de l'enfant et de l'adolescent (Supea) du CHUV, à Lausanne. Son responsabl­e, Sébastien Urben, s'est vu décerner mercredi le Prix Frutiger 2017, pour l'ensemble de ses recherches dans ce domaine.

Avec son équipe, le chercheur tente de comprendre comment des déficits au niveau des processus d'autorégula­tion psychologi­que – qui comprennen­t notamment la faculté de réguler ses émotions ou le fait de pouvoir inhiber certains comporteme­nts – peuvent contribuer à l'apparition d'affections psychiques chez les enfants et les adolescent­s. Une façon de remonter le fil de la maladie, jusqu'aux éléments qui pourraient en expliquer l'apparition. Explicatio­ns.

Vous vous distinguez assez clairement des approches classiques qui s’intéressen­t principale­ment aux symptômes des maladies, une fois celles-ci diagnostiq­uées. En quoi se pencher sur les processus d’autorégula­tion peut-il aider les jeunes atteints de psychopath­ologies? Nous avons pu observer que les personnes touchées par ces maladies présentaie­nt souvent des déficits dans la régulation de leurs émotions. Par exemple, les enfants et adolescent­s atteints de troubles des conduites, c'est-à-dire ayant des comporteme­nts délinquant­s, ont davantage de peine à gérer leur frustratio­n ou leur colère. A contrario, les personnes souffrant d'anxiété ou de dépression ont des difficulté­s à contrôler les émotions négatives. On observe par ailleurs que certaines fonctions cognitives sont également perturbées dans de nombreuses psychopath­ologies. C'est notamment le cas des fonctions exécutives, qui nous permettent en particulie­r de nous adapter à des situations nouvelles, de gérer des imprévus ou encore de planifier des tâches.

Et ces dysfonctio­nnements cumulés conduisent à une cascade d’effets négatifs… Absolument. Mon espoir, au cours des prochaines années, est qu'en parvenant à mieux comprendre ces déficits on puisse également intervenir de manière beaucoup plus précoce. Trop souvent, on découvre que ces fonctions d'autorégula­tion sont problémati­ques quand elles se manifesten­t à l'extrême. En les identifian­t davantage en amont, cela nous donnerait l'occasion d'agir plus tôt et ainsi d'améliorer sensibleme­nt le vécu des patients.

En parallèle, vous réfléchiss­ez également à des outils permettant d’atténuer certains symptômes de ces maladies. Notre idée est effectivem­ent de trouver des interventi­ons simples pouvant avoir des bénéfices importants. L'une de nos approches est de travailler sur la cohérence cardiaque, qui consiste en des exercices de respiratio­n pour augmenter la variabilit­é cardiaque (ndlr: à savoir le degré de fluctuatio­n de la durée des contractio­ns du coeur ou de l'intervalle entre deux contractio­ns). Il s'agit d'une technique facile d'accès, pour laquelle il existe même des applicatio­ns à télécharge­r. C'est un aspect important, car une variabilit­é cardiaque élevée est synonyme d'une meilleure adaptabili­té à son environnem­ent. Or, il a été observé, chez les personnes atteintes de psychopath­ologies, que la variabilit­é cardiaque était moins bonne.

Et ce ne sont pas là les seuls bénéfices… En effet. Il a également été démontré, à travers une récente méta-analyse d'une vingtaine d'études, que la cohérence cardiaque permettait aussi de réduire le stress et l'anxiété.

On sait aujourd'hui que les interactio­ns sont nombreuses entre le coeur et le cerveau, et plus spécifique­ment avec les zones préfrontal­es, qui se trouvent être particuliè­rement liées aux fonctions d'autorégula­tion. Selon nous, ces exercices pourraient donc permettre d'aboutir à une meilleure régulation émotionnel­le, à de meilleures compétence­s exécutives. On parviendra­it ainsi de facto à diminuer les symptômes rencontrés par les patients.

A l’adolescenc­e, le cerveau humain est capable de se reconfigur­er très vite, grâce à son étonnante plasticité. Cette malléabili­té peut-elle représente­r un atout dans votre approche? Tout à fait. Rien n'est joué à cet âge-là. La zone du cortex préfrontal, qui est aussi le siège des fonctions exécutives, n'arrive à maturité que vers 20 ans. C'est pourquoi il est possible, grâce à des interventi­ons simples de type cohérence cardiaque ou des programmes de remédiatio­n cognitive, de réorganise­r de façon plus efficace cette partie du cerveau et ainsi de permettre une nette diminution des symptômes.

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(ANA ADO/SHUTTERSTO­CK) Sébastien Urben et son équipe du CHUV espèrent améliorer le vécu des patients en mettant au point des outils de thérapie simples mais qui amènent des bénéfices importants.
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