La justice suisse contredit Gunvor
Le Ministère public de la Confédération a suspendu la procédure pénale contre les deux ex-employés de Gunvor. Selon un document confidentiel, les paiements de nature présumément corruptive ont été validés à l’interne
Le négociant genevois Gunvor affronte, depuis mardi, de nouvelles révélations concernant les agissements de ses agents en République du Congo.
Nouveau rebondissement dans l’affaire de corruption présumée chez Gunvor. Selon un document judiciaire, que Le Temps a pu se procurer, le géant genevois du pétrole ne pouvait pas ignorer le paiement de commissions suspectes, effectué par ses deux ex-collaborateurs, ayant facilité l’obtention de lucratifs contrats pétroliers en République du Congo.
Les paiements de nature présumément délictueuse ont été validés à l’interne, parfois même par un maximum de six personnes. Ainsi qu’à l’externe, notamment auprès de Credit Suisse, la banque qui hébergeait les comptes des intermédiaires, selon ce document du Ministère public de la Confédération (MPC), daté du 14 juin 2017.
Procédure suspendue
Une information qui contredit la version de Gunvor – accusé d’avoir corrompu des fonctionnaires de la République du Congo pour obtenir du pétrole brut –, qui se dit «victime de comportements individuels indésirables», rejetant les torts sur ses «employés félons». Or, dans ce document interne, le MPC explique avoir «décidé de suspendre la procédure pénale ouverte» à la suite d’une plainte de Gunvor pour escroquerie. C’était il y a trois mois. Le négociant affronte, depuis mardi, de nouvelles révélations concernant les agissements de ses agents en République du Congo. L’ONG Public Eye (ex-Déclaration de Berne) a diffusé un rapport sur les agissements du géant du pétrole dans ce pays africain ainsi qu’une vidéo où l’on pouvait voir un ancien directeur de la société genevoise (filmé à son insu) en pleine conversation sur le versement de pots-de-vin à des dirigeants congolais. L’enregistrement est désormais aux mains de la justice suisse, qui enquête depuis six ans sur un versement suspicieux de quelque 30 millions de francs à des officiels congolais.
Pour Public Eye, le versement de juteux pots-de-vin faisait partie d’une politique de corruption qui a permis à Gunvor d’obtenir, entre 2010 et 2012, 22 cargos de brut pour une valeur de 2,2 milliards de dollars, et un profit estimé par l’ONG à quelque 110 millions de francs.
Piratage des procédures internes
Contacté par Le Temps, le géant du négoce, qui se dit «confiant dans sa position», s’en tient à sa version, citant un document de la police fédérale, de novembre 2012, concluant à la collaboration de deux employés de Gunvor «en vue d’un enrichissement indu en profitant du manque de rigueur et de contrôle de leur employeur».
Le négociant rappelle, en outre, que la procédure n’est pas classée mais suspendue et que la référence à des procédures de validation internes «démontre que Gunvor a des systèmes de contrôle et des protocoles», avant de conclure: «Clairement, nos procédures de contrôle internes ont été manipulées.»
Plusieurs procédures pénales
De son côté, le MPC refuse de s’exprimer sur le document judiciaire en notre possession et rappelle que «la présomption d’innocence prévaut». Il confirme mener «plusieurs procédures pénales dans le contexte évoqué, notamment pour soupçon de blanchiment d’argent».
Elles visent un ex-employé de Gunvor pour soupçon d’escroquerie, un collaborateur tiers pour soupçon de gestion déloyale et abus de confiance. «Dans ce contexte, basé sur des résultats de l’instruction pénale en cours, le MPC a également mis en prévention les sociétés Gunvor International B.V., Amsterdam, succursale de Genève et Gunvor SA», pour carences organisationnelles liées à de possibles actes constitutifs de corruption d’agents publics étrangers.
Le MPC confirme avoir adressé des demandes d’entraide judiciaire à plusieurs pays. La semaine dernière, le bureau dubaïote de Gunvor a été perquisitionné par la police et des scellés ont été posés. Questionné par Le Temps, Gunvor précise qu’il s’agit d’une «procédure civile liée à une dispute autour d’un cargo» qui n’a «aucun lien» avec les affaires congolaises.
Les paiements de nature présumément délictueuse en République du Congo ont été validés à l’interne, parfois même par un maximum de six personnes