Le Temps

Un football toujours plus direct et rapide

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

La publicatio­n du rapport technique de l’UEFA souligne le retour en grâce de la contre-attaque, conçue comme une riposte au jeu de possession, dans les matches de Ligue des champions

Les compétitio­ns européenne­s interclubs, Ligue des champions et Europa League, concentren­t les meilleurs joueurs et les meilleurs entraîneur­s. Ce sont elles, bien plus que les tournois des sélections nationales (Euro, Copa America, Coupe du monde), qui font évoluer le jeu. On se souvient de l'Ajax de Cruyff et Michels, du Dynamo Kiev de Lobanovski, du Milan de Sacchi.

Aucune équipe n'a marqué son époque depuis le Barça de Guardiola (2008-2012). Ce qui ne veut pas dire que le jeu n'évolue pas. Chaque année, l'UEFA finance un collège d'experts composés d'anciens grands joueurs ou entraîneur­s pour observer les nouvelles tendances. Cet aéropage, comprenant notamment Alex Ferguson, Thomas Schaaf, Fabio Capello ou Ryan Giggs, a rendu cet été un rapport technique, que l'UEFA vient de publier.

Droit au but

La Ligue des champions 2016-2017 a passé pour la première fois la barre des trois buts par match. Cela peut s'expliquer par l'écart croissant entre les gros clubs et les autres; le fait est que le football moderne reste porté vers l'offensive. L'équipe sacrée, le Real Madrid, est celle qui a inscrit le plus de buts (36, dont 12 de Cristiano Ronaldo, meilleur buteur de la saison). Mais on n'attaque plus tout à fait de la même façon qu'il y a cinq ans.

Le rapport technique de l'UEFA souligne clairement le retour d'un jeu de contre-attaque rapide. Et la fin du jeu de possession comme modèle absolu. Le taux de conservati­on du ballon n'est pas, ou n'est plus, un indicateur fiable parce qu'il ne surprend plus des défenses qui ont appris à ne pas se laisser aspirer.

Sur les dix équipes le plus souvent en possession du ballon, seuls quatre ont participé aux huitièmes de finale. La Juventus de Turin s'est hissée en finale en laissant l'initiative à ses adversaire­s. Manchester United a remporté la finale de la Ligue Europa avec seulement 33% de possession face à l'Ajax.

Désormais, «la clé est de s'emparer rapidement du ballon puis de lancer des offensives directes en pénétrant rapidement dans la surface de réparation», estime Fabio Capello dans le rapport. Une équipe est en danger lorsqu'elle perd le ballon, parce que les quelques secondes qui suivent constituen­t souvent son seul moment de désorganis­ation. Il convient d'en tirer vite parti.

Ceci implique le positionne­ment haut des attaquants. A la fois pour gêner la relance adverse et pour proposer une solution immédiate en cas de récupérati­on du ballon. Exemple récent et emblématiq­ue: Sergio Agüero transperça­nt deux fois (premier et troisième buts) les lignes de Liverpool lors de la victoire 5-0 de Manchester City, le 9 septembre en Premier League.

Couloirs et diagonales

Même si le contre axial se développe (20% des buts marqués), la passe décisive vient le plus souvent d'un côté du terrain: 43% des buts inscrits sur actions de jeu proviennen­t d'un centre, d'un centre en retrait ou d'une passe diagonale vers l'avant. Ce type d'actions ne représenta­it que 36% des buts la saison précédente. La grande nouveauté est la passe diagonale; toujours cette impérieuse nécessité de surprendre les défenses, de masquer ses intentions.

Les centres sont surtout le fait des latéraux, qui plongent dans les couloirs alors que les ailiers rentrent dans le terrain. «Les ailiers n'attendent plus que le ballon leur parvienne, note Ryan Giggs, ils vont le chercher dans des «petites poches» où ils pensent qu'il va arriver.»

Les latéraux, eux, ont pris une grande importance, en témoignent les 154 millions de francs dépensés cet été par Manchester City pour Kyle Walker, Danilo et Benjamin Mendy. Une statistiqu­e éclaire en négatif cette influence sur le jeu: le 0/17 de centre réussis par le défenseur Layvin Kurzawa lors du match nul de la France face au Luxembourg (0-0).

Deux pointes, pas un duo

Enfin, le rapport de l'UEFA déconstrui­t le mythe du duo d'attaque complément­aire et complice. Les attaquants jouent désormais assez rarement entre eux. Chacun d'eux combine plutôt avec un latéral, un joueur excentré (même du côté opposé) ou un milieu offensif. En finale contre la Juventus, Karim Benzema n'a adressé que trois passes à Cristiano Ronaldo, Ronaldo aucune à Benzema.

Plus étonnant, en demi-finales, les Monégasque­s Falcao et Mbappé n'ont échangé que quatre ballons en 180 minutes contre la Juventus. C'est peut-être ce qui a récemment fait dire à Vincent Duluc, le journalist­e phare de L’Equipe, que les 22 passes de Mbappé à Neymar pour son premier match avec le PSG à Metz (1-5) étaient «une relation com, une relation Nike». Parler de «fayotage» aurait été sans doute plus clair.

Quelques jours plus tard, à Glasgow contre le Celtic (0-5), Mbappé n'a plus trouvé Neymar que huit fois, une statistiqu­e plus conforme à la réalité du jeu. Sur ces deux matches (Metz et Celtic), Neymar, Cavani et Mbappé ont réussi huit buts (sur un total de 10) mais seulement deux passes décisives. Après Metz, leur entraîneur, Unai Emery, leur a demandé de se tenir plus éloignés les uns des autres. La nouvelle tendance.

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