Le Temps

Un cocon graphique signé Chapuisat

Connus pour leurs constructi­ons en bois ludiques et régressive­s, les frères Chapuisat investisse­nt cette fois l’Espace Courant d’Art, à Chevenez, dans le Jura. Un abri sur pilotis, XXL et léger, où l’on est invité à se réfugier

- VIRGINIE NUSSBAUM @VirginieNu­ss

Un hérisson de bois. Un nid sur échasses. Un méli-mélo de Kapla. Lorsqu’on découvre l’installati­on, les yeux s’écarquille­nt, se perdent dans l’enchevêtre­ment noir et blanc, cherchent la logique du désordre apparent.

Et puis les perceuses interrompe­nt la rêverie. Dissimulée­s dans le ventre de la créature, des petites mains s’activent pour fixer les dernières planches. Ici et là, sans schéma préalable, si ce n’est une seule loi: pas d’angles droits. Après six semaines de chantier, Protubéran­ce, la dernière oeuvre des frères Chapuisat, sera présentée au public samedi à l’Espace Courant d’Art, dans le village jurassien de Chevenez.

«Explosion de matière»

Accueillir une oeuvre de ces rois suisses de la sculpture éphémère, de l’architectu­re anarchique, Yves Riat en rêvait depuis longtemps. Il n’a pas été déçu: ce sont 10 m3 de bois, soutenus par près de 30000 vis, qui ont investi sa galerie jusqu’au plafond. Un envahisseu­r bienvenu, d’autant que la galerie fête cette année ses 25 ans. «Je voulais qu’on s’amuse et là, on a une vraie explosion de matière. C’est démesuré», se réjouit le directeur. Il croit aussi au potentiel de l’installati­on, surprenant­e et ludique, de fédérer un large public. «On espère particuliè­rement attirer les classes d’écoles et les jeunes, qui s’intéressen­t plus difficilem­ent à l’art.»

Le jeu, la régression, c’est un peu la marque de fabrique des frères Chapuisat. Gregory, secondé par son frère Cyril et une armada de collaborat­eurs, fait régulièrem­ent pousser des géants de bois semblant tout droit sortis de l’imaginatio­n d’un enfant. Des installati­ons esthétique­s et poétiques, conçues in situ, qui évoquent la cabane ou le labyrinthe. Et que le visiteur est invité à explorer, habiter.

On se souvient de leur Résidence secondaire, vraie maison à ciel ouvert greffée sur le toit d’un chalet attendant la démolition à Vercorin, en 2012. Ou encore de cette grotte mystérieus­e, conçue pour la Galerie Laurence Bernard à Genève deux ans plus tard, lieu d’un parcours dans l’obscurité (et dans la boue!), la métaphore d’une introspect­ion où le corps entier est mis à contributi­on.

Protubéran­ce ne fait pas exception. En regardant mieux, on devine une ouverture qui invite à l’escalade. Un pied sur cette poutre, une main dans le coin et après quelques contorsion­s, on pénètre dans l’antre de la bête: une petite salle, comme une bulle, avec ses renflement­s où l’on peut s’asseoir en attendant les hamacs qui seront bientôt suspendus. Il y règne un calme presque douillet.

Abri troglodyte

«C’est un espace de vie, un lounge, explique Gregory Chapuisat. Avec cette oeuvre, on est moins dans l’idée de rite initiatiqu­e ou de confrontat­ion physique. Il s’agit plutôt d’une introspect­ion oisive, d’un espace troglodyte dans lequel on va se reposer.» Derrière sa silhouette hérissée, cet abri ou cocon protecteur est conçu sur pilotis, «pour qu’il s’élève, aussi léger qu’une toile d’araignée, puis finisse par disparaîtr­e».

La métaphore d’un mode de vie nomade cher à l’artiste, lui qui déménage parfois dans ses oeuvres alors même qu’il les construit. Et qu’il souhaite faire goûter aux curieux les plus sédentaire­s. «On offre une échappée belle, un moment de rêve. Mais en le réalisant uniquement avec des planches et des vis, pour montrer que tout le monde peut le faire», souligne celui qui a dormi dans sa voiture, sur un espace de forêt prêté par un paysan du coin, pendant toute la durée du chantier jurassien.

Camouflage

Nomade, mais pas solitaire: cette fois-ci, l’oeuvre des Chapuisat dialoguera avec celles du tagueur français Poes, dont les toiles façon pop art viendront habiller les murs de la galerie. Des tons vifs qui ont incité les frères Chapuisat à tenter eux aussi la peinture, avec un sobre noir-blanc pour commencer. «Nous avons lâché prise, et l’effet graphique s’est révélé étonnant. Ça m’évoque les camouflage­s de bateaux pendant la Première Guerre mondiale!»

Défi relevé. Et après la grange en couleur, quoi encore? «J’aimerais me confronter à autre chose. Pourquoi pas construire sur un bateau flottant ou sur un véhicule à roues, pour jouer davantage avec les codes du nomadisme et du romantisme.»

Protubéran­ce des frères Chapuisat, avec la peinture de Poes, Espace Courant d’Art, Chevenez, du 16 septembre au 25 décembre. www.courantdar­t.ch

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(LUCAS SEIDLER) Il a fallu six semaines, 10 m3 de bois et 30 000 vis à Gregory Chapuisat et son équipe pour donner vie à leur nouvelle installati­on.

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