Le Temps

A La Bâtie, un farceur fait pleurer

- MARIE-PIERRE GENECAND

Pieter Ampe est fantasque. Mais il est aussi terribleme­nt doux et sensible. Il fait le singe et on verse une larme. Brillant

Les habits font le moine. Pieter Ampe, hardi danseur belge, en a donné une nouvelle illustrati­on, mercredi, à La Bâtie. Tutoyant du regard le public, le danseur s’est livré à une mise à nu de la séduction et du genre. Sans oublier l’effeuillag­e de la création artistique, lors d’un final bouleversa­nt. Là, face à une projection de lui-même et sur les accents déchirants de Nina Simone, le déluré avait l’air d’un humble débutant. Brillant.

On l’a quitté en 2015, la barbe enduite de miel dans une ode à l’été. On le retrouve nu et peint en blanc dans un jeu sur le dévoilemen­t. Pieter Ampe est fantasque. Et doux et sensible aussi. Il y a deux ans, associé au plasticien Benjamin Verdonck et déjà à La Bâtie, le danseur a donné sa vision ready-made des Quatre Saisons de Vivaldi. Table, toaster et frigo culbutés racontaien­t le grand barda de la vie.

Un jeu délicieuse­ment dangereux

Moins de chaos dans So You Can Feel, astucieuse étude des différents atours pour séduire. Barbu et chevelu, Pieter Ampe fait déjà un parfait hipster. C’est ainsi, en jeans et t-shirt flashy, qu’il accueille le public. L’idée? Fixer les spectateur­s dans les yeux et poser pour eux, les mains sur les hanches, les bras derrière la tête, le regard langoureux, etc. Le jeu est délicieuse­ment dangereux, surtout pour cette spectatric­e du premier rang que le danseur – qui a passé le parapet –, fixe tout près et pendant longtemps.

Torse nu, puis jambes nues, puis perruque rasta, puis pantalon en cuir. Le poseur écume toute la panoplie. Et finit logiquemen­t en drag-queen coulée dans un académique en résille. Première éclate pour l’audience. Lancé dans les gradins, le joli coeur évolue façon pole dance sur le mythique tube «The Power of Love», de Franky Goes to Hollywood. La fumée s’en mêle, le régal kitsch est total.

Mais le meilleur reste à venir. C’est que Pieter Ampe a beau secouer son pénis peint en blanc, il veut aussi en découdre avec le geste créateur. L’infiniment petit, l’infiniment grand. Alors, sur l’interpréta­tion déchirante de «Feelings» par Nina Simone, il se fait apprenti, hésitant, tandis qu’en fond de scène, un lui dansant est projeté en grand. D’où vient le talent? Peut-être de son propre égarement. On verse une larme.

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