Le Temps

Matières premières, le manque d’ambition du Conseil fédéral

- LISE BAILAT @LiseBailat

Les statistiqu­es donnent le tournis. Le négoce des matières premières a explosé en Suisse ces dix dernières années. Ce secteur génère désormais 3,6% du produit intérieur brut, emploie 10 000 personnes au sein de 570 sociétés. Pas étonnant dès lors qu’il s’invite dans l’agenda politique.

Le Conseil fédéral a pris position vendredi sur l’initiative populaire «Entreprise­s responsabl­es». Porté par 80 ONG et un large panel de personnali­tés, ce texte veut contraindr­e légalement les entreprise­s à assumer leur responsabi­lité sociale et environnem­entale ici comme à l’étranger. En toile de fond, une cible: le négoce des matières premières justement, dont le boom des affaires s’est malheureus­ement accompagné d’une multiplica­tion de scandales. Travail d’enfants dans des mines, corruption en lien avec le marché du pétrole, expropriat­ion de terres, etc.: ces affaires marquent aussi durablemen­t tant la réputation des sociétés impliquées que celle du pays qui les accueille.

A ce stade, le Conseil fédéral avait le choix entre deux attitudes. Se ranger derrière l’initiative et en faire un argument sur la scène internatio­nale, en plaçant la Suisse dans le rôle d’un Etat précurseur. Protéger aussi les entreprise­s qui jouent le jeu éthique. Ou alors ne pas légiférer dans un univers ultra-concurrent­iel et éviter ainsi que ces entreprise­s, très mobiles, aillent s’établir sous d’autres cieux aux lois plus clémentes. Le Conseil fédéral a choisi la seconde option. Il aurait pu opter pour la voix médiane, celle d’un contre-projet, la preuve qu’il ne se contente pas de partager le souci des initiants mais a l’intention d’agir.

Si la mort forcée du secret bancaire aurait dû lui apprendre quelque chose, c’est bien la nécessité d’intervenir en amont dans les secteurs économique­s qui présentent un risque particulie­r. Le négoce des matières premières en est assurément un. Et la pression internatio­nale est déjà là. L’ONU, l’OCDE et le Conseil de l’Europe invitent les Etats à légiférer dans le domaine de la responsabi­lité sociale et environnem­entale des entreprise­s. Un contre-projet aurait permis d’ouvrir le débat, tout en ménageant les intérêts économique­s du pays.

Le Conseil fédéral a manqué d’ambitions. Le grand écart qui consiste à vanter les mérites de la Genève internatio­nale à longueur d’année tout en fermant les yeux sur les pratiques économique­s moins heureuses qu’elle abrite est peut-être la preuve d’une formidable souplesse, mais n’en est pas moins périlleux.

Un contre-projet aurait permis d’ouvrir le débat, tout en ménageant les intérêts économique­s du pays

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