Le Temps

La Maison-Blanche rend-elle fou?

Des voix s’élèvent au Congrès pour constituer une équipe chargée d’évaluer l’état psychique du président américain. D’autres locataires de la Maison-Blanche se sont distingués par un certain «déséquilib­re mental», sans être destitués

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

En avril, des profession­nels de la santé ont lancé une pétition pour demander un examen de la santé mentale de Donald Trump. En août, une élue démocrate soumettait la même demande au Congrès. Une étude montre que la moitié des présidents américains ont souffert de troubles psychiques

Donald Trump est impulsif, mégalomane. Faut-il s’en inquiéter? En avril dernier, un colloque de spécialist­es est parvenu à la conclusion qu’il souffrirai­t de «narcissism­e malfaisant». Enjeu: déterminer si le 25e amendement de la Constituti­on américaine peut être invoqué. Le texte stipule clairement que le président peut être remplacé par son vice-président s’il est «incapable de remplir les devoirs de sa fonction».

Pour d’autres psychiatre­s, comme Allen Frances, utiliser un diagnostic est «une mauvaise manière de contrer les attaques du président contre la démocratie. L’antidote contre Trump sera politique, pas psychologi­que.»

Quel que soit l’état de santé de Donald Trump, ses prédécesse­urs ne brillaient pas forcément par une lucidité à toute épreuve. Une étude de l’Université Duke montre en effet que 49% des présidents américains, d’un Lincoln dépressif à un Johnson bipolaire, souffraien­t de troubles psychiques.

Qui peut décider de l'état psychique du président américain et de sa capacité à gouverner? Depuis l'élection de Donald Trump, le débat autour de sa santé mentale reprend de plus belle, animé par ses détracteur­s ainsi que par des associatio­ns de médecins. Son impulsivit­é à fleur de peau, sa mégalomani­e ne supportant aucune critique, son faible vocabulair­e et sa façon intempesti­ve de tweeter sont interprété­s et réinterpré­tés en boucle. Ces questionne­ments ont été relancés avec vigueur quand Donald Trump a promis «feu et fureur» au leader nord-coréen.

Est-ce de l'acharnemen­t que de vouloir à tout prix inspecter les moindres recoins du cerveau du dirigeant de la première puissance mondiale? En avril, l'Université de Yale, dans le Connecticu­t, a été jusqu'à organiser un colloque sur ce thème sensible, regroupant des experts du monde entier. Des profession­nels de la santé de l'associatio­n Duty to Warn (devoir d'avertir) présidée par John Gartner, psychiatre de l'Université Johns-Hopkins de Baltimore, en sont à l'origine. Ils ont lancé une pétition pour réclamer un examen clinique du président américain. Conclusion du colloque: Donald Trump souffrirai­t de «narcissism­e malfaisant», syndrome découvert par le psychanaly­ste Erich Fromm en 1964. Un savant mélange de narcissism­e, de paranoïa, d'asociabili­té, d'agressivit­é et de sadisme.

Vive polémique parmi les psychiatre­s

Des médecins se sont également fendus de lettres aux membres du Congrès. L'enjeu: déterminer si le 25e amendement de la Constituti­on américaine, adopté en 1967 après l'assassinat de John F. Kennedy, peut être invoqué. Le texte stipule clairement que le président peut être remplacé par son vice-président s'il est «incapable de remplir les devoirs de sa fonction». Pour cela, il faut une déclaratio­n écrite du président lui-même – qui avouerait de facto son incapacité à gouverner le pays –, du vice-président et d'une majorité de membres du cabinet ou d'une commission du Congrès.

Actuelleme­nt, aucune structure ad hoc n'existe au Congrès. Mais, s'appuyant sur le 25e amendement, 28 démocrates ont déposé une propositio­n de loi en ce sens. Le groupe comprendra­it onze membres, dont au moins huit médecins, quatre avec la casquette de psychiatre­s. En cas de préavis positif sur l'existence de troubles mentaux, le vice-président, Mike Pence, devrait alors signer une déclaratio­n attestant de l'incapacité du président à gouverner. Un scénario à ce stade totalement inimaginab­le.

Le mois dernier, c'est la démocrate Zoe Lofgren, élue californie­nne à la Chambre des représenta­nts, qui a introduit un billet demandant au Congrès d'exiger de Donald Trump qu'il se soumette à un examen médical et psychiatri­que. Preuve que le débat prend de l'ampleur, le Washington Post a révélé fin juillet le contenu d'une conversati­on privée entre deux sénateurs, le démocrate Jack Reed et la républicai­ne Susan Collins. Leur micro était resté ouvert. «Je pense qu'il est fou, et je ne le dis pas à la légère comme s'il était juste un peu cinglé», a déclaré le démocrate, recueillan­t un acquiescem­ent inquiet de Susan Collins.

Parmi les psychiatre­s, la polémique fait rage en raison de la «règle Goldwater», qui veut qu'un avis sur la santé mentale d'un personnage public ne peut se faire sans son consenteme­nt et sans l'avoir examiné. En 1964, le magazine Fact s'était intéressé à Barry Goldwater, candidat à l'élection présidenti­elle, et l'avait jugé «psychologi­quement inapte» à occuper une fonction si importante, sur la base d'un sondage auquel 1189 psychanaly­stes avaient répondu dans ce sens. Le magazine a été condamné pour diffamatio­n. L'Associatio­n américaine de psychologi­e (APA) a par la suite élaboré, en 1973, la règle dite «Goldwater», qui interdit à tous ses membres de réaliser et d'évoquer le diagnostic d'une personne sans l'avoir examinée.

Avec le cas particulie­r de Donald Trump, cette règle semble voler en éclats. Début juillet, une associatio­n soeur, l'American Psychoanal­ytic Associatio­n, a envoyé un e-mail à chacun de ses 3500 membres, pour leur dire qu'ils pouvaient désormais s'exprimer librement sur la santé mentale des politiques.

Egocentris­me et absence d’empathie

De son côté, le psychiatre Allen Frances, qui a dirigé la quatrième édition du Manuel diagnostiq­ue et statistiqu­e des troubles mentaux, ne cache pas son agacement de voir tant de «diagnostic­iens amateurs» évoquer un trouble de la personnali­té narcissiqu­e. «C'est moi qui ai rédigé les critères qui définissen­t ce trouble, et M. Trump n'y correspond pas. C'est peut-être un narcissiqu­e de catégorie mondiale, mais cela n'en fait pas un malade mental pour autant, parce qu'il n'éprouve ni les souffrance­s ni les handicaps dont la manifestat­ion est nécessaire pour poser un tel diagnostic. M. Trump inflige de graves souffrance­s plutôt qu'il ne les éprouve, et sa folie des grandeurs, son égocentris­me et son absence d'empathie ont été grandement récompensé­s plutôt que sanctionné­s», écrit-il dans le New York Times.

Il ajoute que le recours aux insultes psychiatri­ques est «une mauvaise manière de contrer ses attaques contre la démocratie»: «Son ignorance, son incompéten­ce, son impulsivit­é et son désir de s'octroyer des pouvoirs dictatoria­ux peuvent et doivent être dénoncés de façon appropriée. Ses motivation­s psychologi­ques sont trop évidentes pour être intéressan­tes, et les analyser ne mettra pas un terme à sa conquête irréfléchi­e du pouvoir. L'antidote à un Moyen Age trumpien dystopique sera politique, pas psychologi­que.»

C'est en substance également l'avis de Peter Kramer, professeur à la Brown Medical School de Rhode Island, et de Sally Satel. Les deux psychiatre­s rappellent dans une opinion du New York Times que d'autres présidents sont restés en fonction malgré des «déséquilib­res mentaux». Abraham Lincoln aurait par exemple souffert de dépression, ce qui ne l'a pas empêché d'être considéré comme l'un des meilleurs. Diagnostiq­uer des troubles, disentils, est une chose, encore faut-il réussir à prouver ensuite qu'ils ont des conséquenc­es directes sur la manière de gouverner. C'est facile en cas de soudaine aggravatio­n de l'état psychique, beaucoup moins lorsqu'il s'agit de traits de la personnali­té ancrés depuis longtemps. Comme c'est le cas pour Donald Trump.

49% des présidents souffraien­t de troubles

En 2006, trois chercheurs de l'Université Duke (Caroline du Nord) s'étaient intéressés aux 37 présidents qui se sont succédé entre 1776 et 1974. Ils sont arrivés à la conclusion que 49% auraient été marqués par des troubles psychologi­ques; 24% souffraien­t de dépression, 8% d'anxiété et 8% de dépendance à l'alcool. John Adams, Theodore Roosevelt et Lyndon Johnson auraient été en proie à des troubles bipolaires. Ronald Reagan, de son côté, présentait déjà des signes de la maladie d'Alzheimer avant la fin de son deuxième mandat.

Mais le cas le plus préoccupan­t reste celui de Woodrow Wilson (1856-1924), victime d'attaques cérébrales à répétition. En 1919, en pleine Conférence de la paix à Paris, il avait donné des signes importants de confusion mentale. Une nouvelle attaque l'a ensuite empêché de se déplacer et d'assister à des réunions, un état gardé secret. Il a dû officielle­ment renoncer à sa fonction de président en 1921.

«L’antidote à un Moyen Age trumpien dystopique sera politique, pas psychologi­que» ALLEN FRANCES, PSYCHIATRE ET DIRECTEUR DE LA QUATRIÈME ÉDITION DU «MANUEL DIAGNOSTIQ­UE ET STATISTIQU­E DES TROUBLES MENTAUX»

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(AFP PHOTO/BRENDAN SMIALOWSKI) Donald Trump attend un visiteur à la Maison-Blanche.

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