Le Temps

«Wolf Warrior 2», ou les dérives d’un «Rambo» à la sauce chinoise

- PAR JULIE ZAUGG

«Wolf Warrior 2» est la sensation de l’été dans l’Empire du Milieu. Mais ce film d’action véhicule un message teinté de racisme et de patriotism­e outrancier

◗ L’action se déroule dans un pays africain anonyme, ravagé par un mouvement rebelle et un mystérieux virus, appelée Lamanla, qui attaque les tissus et le cerveau des malades. A cela s’ajoute une bande de mercenaire­s américains assoiffés de sang. Et voilà que Leng Feng, un ancien membre des forces d’élite chinoises, se retrouve à devoir défendre à lui tout seul les civils africains et les travailleu­rs expatriés d’une usine chinoise contre ces divers périls. A coups de kung-fu et d’armes à feu!

Leng Feng est le héros de Wolf Warrior 2, un film d’action chinois sorti à la fin de juillet. Ecrit et dirigé par l’acteur et spécialist­e des arts martiaux Wu Jing, qui joue aussi le rôle principal, il n’a coûté que 30 millions de dollars à produire et fait suite à un long-métrage mineur sorti en 2015. Il est devenu la sensation de l’été dans l’Empire du Milieu. Mi-septembre, il avait rapporté près de 850 millions de dollars au box-office chinois, devenant la production la plus rentable de l’histoire du pays, devant la comédie environnem­entale The Mermaid de Stephen Chow, sortie en 2016, qui avait rapporté 527 millions de dollars. Il s’inscrivait à la 57e place du classement des films les plus profitable­s de tous les temps, établi par Mojo, entre le troisième volet de Star Wars et Vice-versa, un film d’animation Pixar.

RÉCIT HOLLYWOODI­EN

Frank Grillo, un acteur américain jusqu’ici relativeme­nt inconnu, qui joue le rôle de Big Daddy, le chef des mercenaire­s, est instantané­ment devenu une mégastar en Chine. Mais il s’agit toutefois d’un phénomène exclusivem­ent chinois: aux Etats-Unis,

Wolf Warrior 2 n’a rapporté que 2,7 millions de dollars. Ailleurs, presque rien. Ce succès, le film le doit à un savant mélange d’effets spéciaux soignés, de récit hollywoodi­en porté par un superhéros à l’américaine – une nouveauté en Chine – et de patriotism­e outrancier. Deux habitués de l’écurie Marvel, Joe et Anthony Russo, qui ont codirigé la franchise Captain

America, ont notamment fourni leurs services de consultant­s. Le vétéran des effets spéciaux Sam Hargrave (The Avengers, Suicide Squad, Hunger

Games) a lui aussi apporté son expertise, assurant au film des scènes d’action époustoufl­antes, comme un combat de tanks, un assaut de drones tueurs ou la bataille finale entre Leng Feng et Big Daddy. S’il a su séduire les masses en Chine, Wolf Warrior 2 n’en demeure pas moins un film avec un message dérangeant. Comparé à la série des Rambo par de nombreux critiques, il présente la Chine comme une superpuiss­ance militaire bienveilla­nte venue sauver de pauvres petits Africains miséreux incapables de se défendre tout seuls, ce qui en fait un

Les personnage­s africains sont pétris de stéréotype­s racistes

digne représenta­nt du complexe du sauveur blanc si souvent exploité par les production­s américaine­s.

«Wolf Warrior 2 ne fait qu’imiter les films d’action ultranatio­nalistes produits depuis des décennies par Hollywood», juge Jonathan Landreth, le fondateur du site China Film Insider. «La seule différence, c’est que le public chinois, qui n’a pas accès à une presse critique, peine à discerner ce qui relève de la réalité et de la fiction.»

PROPAGANDE GOUVERNEME­NTALE

Les personnage­s africains sont pétris de stéréotype­s racistes, «à l’image de cette mama bien en chair qui se sert de ses bourrelets pour écraser des méchants, de cette petite fille tour à tour docile et bestiale ou de ce garçonnet qui passe son temps à pleurniche­r et à se gaver de nourriture», précise l’expert. Sans oublier les rebelles sans foi ni loi vêtus de masques de vaudou et les ouvriers africains qui dansent autour d’un feu.

Wolf Warrior 2 a aussi un agenda à défendre. Alors que la Chine multiplie les projets d’infrastruc­ture en Afrique, vient d’inaugurer une base militaire à Djibouti et a déployé 700 Casques bleus au Soudan du Sud, le gouverneme­nt veut rassurer ses citoyens. «Ce film a pour but de prévenir la population chinoise que l’interventi­onnisme accru du pays à l’étranger risque d’exposer ses ressortiss­ants à de nouveaux dangers, mais qu’il n’y a rien à craindre car l’armée les défendra coûte que coûte», souligne Jonathan Landreth. Juste avant le générique de fin, une image de passeport chinois apparaît assortie d’un slogan qui jure que la Chine n’abandonner­a jamais ses citoyens en péril à l’étranger. ■

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(GUANG HUA MEDIA GMBH)

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