Au service du public
«Le gouvernement n’est pas la solution, le gouvernement est le problème.» A écouter jeudi les orateurs UDC Lukas Reimann ou Peter Keller lors du débat au Conseil national autour de l’initiative «Oui à la suppression des redevances radio et télévision», on se serait cru de retour dans les années Reagan, il y a trente-cinq ans. Car derrière les ruades contre la SSR, c’est bien le poids de l’Etat et des services publics qui est dans le collimateur.
De longue date, la droite, classique ou nationale-conservatrice, reproche, surtout en Suisse alémanique, le manque de traitement impartial et le «mainstream de gauche» des journalistes de la SSR. Des accusations mises en sourdine jeudi. Pourtant, l’ancien président de l’UDC Toni Brunner a fait un aveu révélateur en priant la ministre de la Communication, Doris Leuthard, d’ouvrir «ce club démocrate-chrétien qu’est la direction générale de la SSR. Nommez un directeur affilié à l’UDC!» Et le chef du groupe parlementaire, Adrian Amstutz, de dénoncer la collusion entre le monde médiatique et le gouvernement. L’UDC se considère toujours dans l’opposition malgré ses deux conseillers fédéraux. Selon une étude de l’Université de Zurich de 2016, les journalistes suisses, globalement, couvrent la totalité du spectre politique, y compris à la SSR. Mais le journaliste moyen se situerait légèrement à gauche du centre. La plupart des ex-soixante-huitards ayant pris leur retraite, remplacés par de jeunes plumes moins politiques, plus consensuelles mais bien plus à l’aise dans le monde de l’économie, on devrait s’attendre à ce que ces incriminations ne soient plus justifiées. En réalité, il est dans la nature humaine de reprocher aux médias de refléter une autre image que celle que nous avons de nous-mêmes.
Le vrai débat de fond, c’est celui du paysage audiovisuel que nous voulons: le choix entre un service public fort ou un renforcement de la concurrence par les diffuseurs privés. Pour faire place à des médias privés proches des idées de l’UDC, comme dans la presse écrite, insinue la gauche. Les milieux économiques et une partie du PLR proposent de couper en deux les revenus de la SSR provenant de la redevance, revenant aux principes du new public management très en vogue dans les années 1990. En parlant dans Le Temps (LT du 14.09.2017) des «clients de la SSR et de leurs habitudes de consommation», le libéral-radical Philippe Nantermod décrit bien la révolution qu’il souhaite. On passe du bénéficiaire ou de l’usager au client. De la logique de l’efficacité attendue de l’action publique à celle de l’efficience. Soit le rapport qualité/coûts. Pourquoi pas? Pour autant que l’on n’oublie pas les fondamentaux du service public: l’égalité des citoyens pour l’accès aux prestations, la continuité territoriale et dans le temps, la neutralité. Et surtout la primauté de l’intérêt collectif sur l’intérêt particulier. Or, l’évolution du paysage médiatique en Suisse romande illustre à quel point l’intérêt de l’éditeur peut diverger voire s’opposer à celui des collectivités, notamment à disposer d’une presse diversifiée et de qualité. Oubliées les identités régionales ou les zones à faible rentabilité.
Ce sont ces conceptions antagonistes de la société helvétique que l’on va retrouver dans le débat que ne manquera pas de provoquer la future loi sur les médias électroniques attendue l’an prochain. Une société qui passe du «nous» de la communauté au «je» des consommateurs. ▅