Le Temps

Les femmes sont divisées sur les retraites

L’augmentati­on de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans est une des principale­s mesures de la réforme des rentes. Du même bord politique, la sénatrice Géraldine Savary et la députée Léonore Porchet débattent de cette question qui les oppose

- PROPOS RECUEILLIS PAR MAGALIE GOUMAZ, BERNE @magaliegou­maz

La réforme de la prévoyance vieillesse, soumise au peuple le 24 septembre prochain, divise la gauche lémanique. La sénatrice Géraldine Savary (PS/VD) a suivi les débats parlementa­ires et défend un projet globalemen­t favorable aux femmes. Députée verte dans le canton de Vaud, Léonore Porchet parle d’une injustice. Elles en ont débattu à l’invitation du Temps.

Madame Savary, comment une femme de gauche peut-elle accepter l’augmentati­on d’une année de l’âge de la retraite des femmes? Géraldine Savary: Je ne défends pas l’augmentati­on de l’âge de la retraite pour les femmes en tant que telle mais un projet qui est, malgré cet aspect, globalemen­t positif pour elles. Je ne le ferais pas si j’avais le moindre doute à ce propos. Le Parti socialiste a obtenu ce qu’il pensait ne jamais pouvoir obtenir, étant donné le rapport de force au parlement. L’AVS sera renforcée, ce qui aura un impact essentiel pour les femmes. Lesquelles auront aussi un meilleur accès au 2e pilier et bénéficier­ont de davantage de flexibilit­é à l’heure de prendre leur retraite. Elles pourront toujours partir avant 65 ans avec la même, si ce n’est une meilleure rente qu’aujourd’hui. Pour la majorité des femmes et surtout pour celles qui en ont le plus besoin, c’est banco sur toute la ligne!

Madame Porchet, vous êtes contre cette réforme principale­ment en raison de l’augmentati­on d’une année de l’âge de la retraite des femmes. Vous en niez les aspects positifs? Léonore Porchet: Je n’accepte pas que la gauche dise que cette réforme est positive malgré l’augmentati­on de l’âge de la retraite des femmes. Car il ne s’agit pas d’un détail mais d’un élément central du projet. La preuve: la plus grande partie des économies repose sur cette seule mesure. S’y ajoute l’augmentati­on de la TVA. Alors si je résume: les femmes vont travailler une année de plus. Elles cotiseront une année de plus et perdront une année de rente. En plus, elles subiront l’augmentati­on du coût de la vie. Pour moi, ce n’est pas un détail. Un parlement à majorité de droite a simplement sacrifié les femmes pour stabiliser le système.

G. S.: Pourquoi pensez-vous que des militantes de la première heure de l’égalité, et je pense surtout à Ruth Dreifuss ou encore à Christiane Brunner, s’engagent en faveur du oui? Pourquoi pensez-vous que le groupe des Verts au parlement a voté à l’unanimité en faveur de ce projet? Pensez-vous vraiment que toutes ces personnes ont sacrifié les femmes sur je ne sais quel autel? Si on laisse de côté les slogans pour analyser concrèteme­nt les conséquenc­es pour les femmes, l’engagement en faveur de la réforme devient une évidence. Le parlement a fait preuve de beaucoup d’inventivit­é. En termes d’avancées sociales, c’est même incroyable ce qui a pu être obtenu, dont la retraite à temps partiel ou encore une meilleure protection des chômeurs affiliés au 2e pilier.

Madame Savary, de nombreuses femmes ne peuvent malgré tout pas se permettre de prendre une retraite anticipée. Vous pensez qu’elles ont envie de travailler une année de plus?

G. S.: Aujourd’hui déjà, une partie importante des femmes prennent une retraite anticipée. Et elles pourront continuer à le faire. Mieux: avec la réforme, il sera plus intéressan­t pour toutes les femmes de prendre une retraite anticipée à 62 et à 63 ans. Seules les femmes avec un salaire annuel brut de plus de 85 000 francs suisses, soit la catégorie la plus aisée, perdront un peu moins de 30 francs par mois si elles partent à 64 ans. Doit-on rejeter toute la réforme pour ce seul cas de figure? J’estime que non.

L. P.: Ce que vous ne dites pas, madame Savary, c’est qu’en travaillan­t jusqu’à 65 ans, les femmes repoussent d’une année la perception d’un montant auquel elles ont droit aujourd’hui à 64 ans. Et même si à 65 ans, la rente est améliorée, il leur faudra attendre jusqu’à 94 ans pour récupérer l’année de rente AVS qu’elles vont perdre.

L’augmentati­on d’une année de l’âge de la retraite des femmes va permettre à terme à l’AVS d’économiser 1,3 milliard de francs suisses. N’est-ce pas un fait?

G. S.: Cette réforme est un compromis, je ne dis pas qu’elle est parfaite, sinon ce serait une initiative populaire du Parti socialiste! Mais nous avons sur la table un projet équilibré, avec des mesures compensato­ires. Après vingt ans d’échecs, nous avons là une occasion unique de sécuriser les rentes et d’assurer l’avenir des futurs rentiers. Et pas n’importe comment: nous renforçons l’AVS, une institutio­n à laquelle les Suisses tiennent et que la gauche surveille comme le lait sur le feu.

L. P.: Je ne peux qu’approuver l’augmentati­on de 70 francs des rentes AVS. Sauf lorsqu’on utilise cette mesure compensato­ire pour convaincre les femmes qu’elles ne travailler­ont pas une année de plus pour rien mais qu’en contrepart­ie, elles améliorero­nt leur rente. Car ce bonus n’a pas été conçu pour elles. Il l’a été pour amoindrir les effets de la baisse du taux de conversion dans le 2e pilier, qui affectera tout le monde. En fait, il n’y a rien dans cette réforme qui compense spécifique­ment l’augmentati­on de l’âge de la retraite des femmes. Ce sont chaque fois les deux sexes qui bénéficien­t des améliorati­ons. De mon point de vue, cette réforme est donc injuste d’un point de vue égalitaire et idéologiqu­e. Elle est également en décalage complet avec la réalité du marché du travail, qui n’accueille pas les femmes de plus de 50 ans à bras ouverts. Bien au contraire.

Effectivem­ent: prenons le cas d’une femme et d’un homme. Ils ont 49 ans. Même parcours profession­nel et même salaire. Admettez-vous, madame Savary, que la réforme profite davantage à l’homme, qui bénéficie des droits acquis pour son 2e pilier, qu’à la femme, qui bénéficie des mêmes droits acquis mais voit son âge de référence de la retraite passer de 64 à 65 ans?

G. S.: Je suis parfaiteme­nt consciente de la réalité et je ne cesserai jamais de me battre pour les femmes. Mais ce que je sais aujourd’hui, c’est que sans cette réforme, la situation de la femme sera pire encore. Il y a là un espace dans lequel nous pouvons avancer. Si nous ne saisissons pas cette occasion, nous n’aurons rien amélioré.

Pourquoi n’avoir pas fait de l’augmentati­on de l’âge de la retraite des femmes une condition pour améliorer l’égalité salariale, madame Savary?

G. S.: Mais nous avons essayé. Il y a eu plusieurs propositio­ns qui ont été refusées. Dans les faits, il faut admettre qu’il est très compliqué de lier les deux objets. L’égalité salariale sera un autre combat. Et il faudra aller bien au-delà de l’aspect purement salarial car le ciel s’assombrit. Depuis que je fais de la politique, j’ai vécu des moments remplis de promesses, avec des mobilisati­ons fortes. Malheureus­ement, je constate aujourd’hui que l’égalité n’est plus une priorité. Certains comporteme­nts m’inquiètent. Il n’y a qu’à voir comment est traitée une candidate au Conseil fédéral. Des mots qui n’auraient jamais été acceptés il y a quelques années le sont de nouveau.

L. P.: De mon côté, j’ose espérer que ceux qui plaident aujourd’hui pour un âge de la retraite égal entre les hommes et les femmes seront ensuite actifs pour atteindre l’égalité sur le plan salarial. Que si cette réforme passe, une vraie loi sur l’égalité sera présentée et pas les mesurettes qu’on nous annonce et qui ne sont qu’une vaste blague. A ce propos, je suis certaine qu’une fois la votation passée, on se retrouvera, avec Mme Savary, en première ligne pour défendre la cause des femmes.

 ?? (FRANÇOIS WAVRE/LUNDI13) ?? Léonore Porchet: «Un parlement à majorité de droite a simplement sacrifié les femmes pour stabiliser le système.»
(FRANÇOIS WAVRE/LUNDI13) Léonore Porchet: «Un parlement à majorité de droite a simplement sacrifié les femmes pour stabiliser le système.»
 ?? (FRANÇOIS WAVRE/LUNDI13) ?? Géraldine Savary: «Ce que je sais aujourd’hui, c’est que sans cette réforme, la situation de la femme sera pire encore.»
(FRANÇOIS WAVRE/LUNDI13) Géraldine Savary: «Ce que je sais aujourd’hui, c’est que sans cette réforme, la situation de la femme sera pire encore.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland