Le Temps

Une loi jugée trop molle

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Le Conseil fédéral veut obliger les entreprise­s à informer leurs clients des données récoltées à leur sujet. Mais les sanctions sont bien inférieure­s à ce qui se fait dans l’UE

L’Espagne vient d’infliger une amende de 1,2 million d’euros à Facebook pour avoir récolté de nombreuses données sur ses utilisateu­rs sans les «informer de manière claire» sur l’usage, en l’occurrence publicitai­re, qui en était fait. La nouvelle loi sur la protection des données adoptée vendredi par le Conseil fédéral a elle aussi pour but d’obliger les entreprise­s qui récoltent des informatio­ns sur leurs clients, comme les magasins de vente en ligne, à les informer de l’utilisatio­n qui en est faite. En théorie. Car l’absence de sanctions comparable­s à celles de l’UE risque de rendre la nouvelle législatio­n suisse peu mordante. C’est ce que craint le préposé fédéral à la protection des données: «Les sanctions prévues, soit une amende de 250 000 francs au plus, semblent peu dissuasive­s en regard de celles qui sont fixées par le règlement général de l’UE, soit 200 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel», commente-t-il dans une prise de position.

Préposé du canton du Valais, Sébastien Fanti résume cela de manière beaucoup plus directe: «Cette nouvelle loi est une révision M-Budget qui est en position disruptive par rapport à l’UE. Les entreprise­s suisses sont de toute manière confrontée­s aux règles européenne­s. Il faut leur éviter une double réglementa­tion. On leur rend ici un mauvais service», martèle-t-il. L’objectif de la révision est certes d’intégrer les risques d’Internet dans la législatio­n sur la protection des données.

«La loi existante est d’une autre époque», relève la ministre de la Justice, Simonetta Sommaruga. Dans son avant-projet, le Conseil fédéral était cependant prêt à aller plus loin, aussi bien pour la réglementa­tion que pour les sanctions. Il avait proposé un plafond de 500 000 francs pour les amendes. Mais les milieux économique­s ont fait barrage, en particulie­r l’Union suisse des arts et métiers (USAM), pour qui le projet revu vendredi va encore trop loin.

«Mort numérique»

La loi consacre le principe général de l’obligation d’informer les particulie­rs. Elle laisse toutefois une large place à l’auto-réglementa­tion. Pour l’USAM, c’est encore trop: trop «bureaucrat­ique», trop lourd administra­tivement, «disproport­ionné», trop «focalisé sur les risques potentiels» et insuffisam­ment sur les «intérêts des PME». Le projet renforce par ailleurs le pouvoir du préposé fédéral. Aujourd’hui, il ne peut émettre que des recommanda­tions. A l’avenir, il pourra prendre des mesures provisionn­elles et rendre des décisions contraigna­ntes mais, contrairem­ent à ce qui se fait dans l’UE, il ne pourra pas prononcer de sanctions administra­tives. Seul un tribunal pourra le faire. Entre les intérêts des PME défendus par l’USAM et ceux de la protection de la sphère privée, il y a un fossé béant. Le parlement devra jongler entre ces deux extrêmes.

Parmi les autres innovation­s, il faut citer le traitement des données des personnes décédées. Le projet propose de reconnaîtr­e le droit des héritiers et de l’exécuteur testamenta­ire de les détruire, c’est-à-dire de provoquer la «mort numérique» du défunt.

«Cette nouvelle loi est une révision M-Budget»

SÉBASTIEN FANTI, PRÉPOSÉ À LA PROTECTION DES DONNÉES DU CANTON DU VALAIS

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