Le Temps

Pilatus va fermer sa coentrepri­se en Chine

Le groupe suisse s’apprête à mettre un terme à la filliale qu’il a créée en 2013 à Chongqing pour y vendre ses avions civils. Les affaires n’auraient pas été à la hauteur de ses espérances

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

L’avenir semblait radieux. Lorsque Pilatus s’est établi en Chine mi-2013, le trafic aérien domestique venait de décoller. Les nouvelles classes moyennes découvraie­nt les joies de l’avion, et la constructi­on d’aéroports, notamment dans les villes secondaire­s, battait son plein. Les analystes prédisaien­t une croissance annuelle de 10%.

Pour l’entreprise située à Stans, dans le canton de Nidwald, rejoindre ce marché relevait de l’évidence. «Nous sommes convaincus que nos produits ont un immense potentiel, se réjouissai­t alors le président de Pilatus Oscar Schwenk. La Chine a de nombreux aéroports dotés de pistes d’atterrissa­ge courtes – nos avions sont idéaux pour y opérer.»

Une commande de 50 avions

Le groupe helvétique a choisi de s’implanter à Chongqing, une cité tentaculai­re de 30 millions d’habitants à l’ouest de la Chine. Pour ce faire, il a constitué une coentrepri­se avec un partenaire local, Beijing Tian Xing Jian Yu Science Co. «Ce modèle était jusque récemment requis par Pékin lorsqu’une entreprise étrangère souhaitait investir dans certains secteurs industriel­s sensibles, comme l’aviation», indique Samuel Baumgartne­r, le président de la Chambre de commerce SuisseChin­e de Pékin.

A Chongqing, l’objectif de Pilatus était de construire des PC-12 et des PC-6, deux avions civils à hélices destinés au marché chinois. «Un premier contrat pour la livraison de 50 (de ces avions) a pu être conclu», indiquait la firme dans un communiqué. Ces appareils, qui se prêtent particuliè­rement bien aux lignes courtes dans des régions reculées, peuvent transporte­r entre 6 et 10 passagers. «Seule une partie de l’assemblage était effectuée à Chongqing, précise Frank Eggmann, qui se trouve à la tête du consulat général de Suisse à Chengdu, également dans l’ouest du pays. Le reste se déroulait en Suisse.»

Mais rien ne s’est passé comme prévu. Peu après son arrivée en Chine, Pilatus a découvert que la loi chinoise interdit les avions monomoteur­s pour l’aviation civile. Or, tant le PC-12 que le PC-6 ne sont dotés que d’un seul moteur. «Ces deux avions ne convenaien­t pas pour le transport de passagers, tout au plus pouvaient-ils être utilisés pour le fret», souligne Dominik Widmer, qui s’occupe de la mise en place du Sinoswiss-Technopark, une zone industriel­le à Chongqing destinée aux PME helvétique­s.

La région manque aussi de talents. «Dans l’ouest du pays, il n’est pas évident de trouver des travailleu­rs qualifiés, en raison de l’absence de formations profession­nelles de haut niveau, ni de faire venir des expatriés, qui sont effarouché­s par le peu d’écoles internatio­nales et la pollution», détaille Frank Eggmann.

Cet été, la situation s’est tendue, avec la mise sous enquête pour corruption du chef du Parti communiste de Chongqing Sun Zhengcai. Considéré comme une étoile montante, il a été remplacé en juillet par un proche du président Xi Jinping, Chen Miner. «En Chine, tout passe par les autorités municipale­s et provincial­es, note Frank Eggmann. Une entreprise qui veut faire des affaires dans ce pays se doit d’entretenir de bons liens avec elles.»

«Promesses pas honorées»

Or, le jeu des chaises musicales qui s’est déroulé à Chongqing a anéanti la collaborat­ion développée par Pilatus avec les autorités de la ville. «Certaines promesses faites par le gouverneme­nt précédent n’ont pas été honorées par les nouvelles autorités», estime Dominik Widmer, qui rappelle que ces dernières jouent un rôle central dans les décisions d’achat d’avions.

Au final, Pilatus n’aurait vendu que 2 à 6 appareils, au lieu des 50 promis initialeme­nt. L’entreprise va fermer le site de Chongqing d’ici à la fin de l’année. Celui-ci emploie 6 étrangers et une trentaine de travailleu­rs locaux. Contacté, Pilatus n’a pas souhaité s’exprimer.

Le groupe helvétique pourrait toutefois rebondir ailleurs en Chine. En mai, Zhang Wei, le vice-président de Pilatus Aircraft Industry (China) Co, la coentrepri­se créée à Chongqing, s’est rendu dans la province côtière du Shandong. Il y a rencontré une délégation d’officiels et discuté d’une collaborat­ion dans la zone de développem­ent économique de Hedong, un espace dédié à l’industrie aéronautiq­ue.

Au final, Pilatus n’aurait vendu que 2 à 6 appareils, au lieu des 50 promis initialeme­nt

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(PILATUS/KEYSTONE) L’objectif de Pilatus en Chine était de construire et de vendre des PC-12 (en photo) et des PC-6, deux avions civils à hélices destinés au marché chinois.

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