Le Temps

«Entreprise­s responsabl­es»: Berne mise sur le volontaria­t

Le Conseil fédéral rejette l’initiative «Entreprise­s responsabl­es». Les initiants auraient au moins apprécié un contre-projet

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

Pour le Conseil fédéral, c’est une évidence: les entreprise­s qui ont leur siège en Suisse doivent assumer leurs responsabi­lités environnem­entales et en matière de droits humains, ici comme dans leurs activités à l’étranger. Mais ce n’est pas une raison suffisante à ses yeux pour accepter l’initiative populaire «Entreprise­s responsabl­es». Le gouverneme­nt rejette sans contre-projet ce texte qui cible particuliè­rement les 570 entreprise­s de négoce basées dans le pays.

Scène inhabituel­le pourtant vendredi à Berne: alors que Simonetta Sommaruga, la ministre socialiste de la Justice, devait expliquer les raisons d’un rejet de l’initiative au nom du collège, elle s’est fendue d’un plaidoyer liminaire rappelant ses conviction­s personnell­es: «La Suisse joue un rôle de pointe dans le négoce des matières premières. On peut en être fier, mais c’est aussi une responsabi­lité. Environ 70% des gens qui vivent dans une extrême pauvreté viennent de pays riches en matières premières. Mais ils n’en profitent pas», a asséné la Bernoise.

La responsabi­lité civile, le point qui fâche

Le négoce de matières premières fait aujourd’hui courir un risque de réputation à la Suisse, lorsque des scandales liés à l’extraction de l’or ou au pétrole éclabousse­nt Genève, Zoug ou Lugano, a-t-elle poursuivi. Mais si le Conseil fédéral partage les buts de l’initiative «Entreprise­s responsabl­es», il estime que les exigences de cette dernière vont trop loin.

Que demande le texte? Concrèteme­nt, il souhaite contraindr­e les entreprise­s ayant leur siège en Suisse, hormis les PME, à examiner les répercussi­ons de leurs activités sur les droits humains et l’environnem­ent et à en publier un rapport. Mais il veut aussi introduire une responsabi­lité civile pour amener les entreprise­s qui devraient répondre de violations des droits humains ou des normes environnem­entales commises à l’étranger à payer des réparation­s. «Au niveau juridique, ce serait faisable. Mais de grandes questions pratiques se poseraient», estime Martin Dumermuth, le directeur de l’Office fédéral de la justice. Les tribunaux suisses seraient appelés à juger sur des faits qui se seraient produits à l’étranger, sans pouvoir y récolter directemen­t des preuves, précise le message. «C’est tout à fait applicable, rétorque Dick Marty, coprésiden­t du comité d’initiative et ancien conseiller aux Etats (PLR/TI). En cas de procédure civile, il appartiend­ra aux lésés d’apporter des preuves devant la justice suisse.»

Eviter les délocalisa­tions

Au-delà des difficulté­s d’ordre pratique, le Conseil fédéral voit un risque que la Suisse légifère en «vase clos». Ce qui ouvrirait la porte à une délocalisa­tion des multinatio­nales. «Il y a trente ans, avec d’autres procureurs cantonaux, nous avions alerté l’échelon fédéral sur des problèmes de blanchimen­t d’argent et le risque encouru. On nous a répondu exactement la même chose», déplore Dick Marty, qui se dit choqué que le Conseil fédéral n’ait même pas pris en considérat­ion l’idée d’un contre-projet.

Le gouverneme­nt croit en la bonne volonté des entreprise­s. Il rappelle qu’il a mis en place depuis 2015 trois plans d’action pour inciter les entreprise­s à assumer leurs responsabi­lités en matière environnem­entale, sociale et des droits de l’homme. Le Conseil fédéral ne semble toutefois pas insensible à la pression de l’initiative «Entreprise­s responsabl­es» portée par 80 ONG et des personnali­tés du monde économique, politique et religieux. Et de prévenir: si les mesures volontaire­s ne suffisent pas, il se réserve le droit d’en prendre d’autres, contraigna­ntes s’il le faut.

Au-delà des difficulté­s d’ordre pratique, le Conseil fédéral voit un risque que la Suisse légifère en «vase clos»

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