Le Temps

Colin Kaepernick, ou le difficile retour du sportif engagé

L’ancien quarterbac­k des San Francisco 49ers est toujours sans équipe, ostracisé pour avoir osé boycotter l’hymne national des Etats-Unis. D’autres sportifs le soutiennen­t dans son activisme politique

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Son genou droit posé à terre le 1er septembre 2016 a fait de lui un paria. Ce jour-là, Colin Kaepernick, quarterbac­k des San Francisco 49ers, avait une nouvelle fois décidé de ne pas se lever pour l’hymne national. Coupe afro et regard grave, il était resté dans cette position pour protester contre les violences raciales et les bavures policières qui embrasaien­t les Etats-Unis. «Je ne vais pas afficher de fierté pour le drapeau d’un pays qui opprime les Noirs. Il y a des cadavres dans les rues et des meurtriers qui s’en tirent avec leurs congés payés», avait-il déclaré.

Plus d’un an après, la polémique reste vive. Son boycott lui vaut toujours d’être marginalis­é et tenu à l’écart par la Ligue nationale de football américain (NFL).

Des manifestat­ions en sa faveur

L’affaire rebondit ces jours, à l’occasion des débuts de la saison de la NFL. Sans contrat depuis mars, Colin Kaepernick est de facto un joueur sans équipe, à la recherche d’un nouvel employeur. Un agent libre. Plusieurs manifestat­ions de soutien ont eu lieu ces dernières semaines. Le 24 août dernier, c’est devant le siège de la NFL, à New York, que plusieurs centaines de personnes ont manifesté contre son ostracisme. La NAACP, une organisati­on de défense des Noirs américains, en était à l’origine. Le 10 septembre, une mobilisati­on similaire a eu lieu du côté de Chicago.

Plus surprenant, une centaine de policiers new-yorkais ont manifesté ensemble fin août à Brooklyn, tous affublés d’un t-shirt noir avec le hashtag #imwithkap. Le célèbre policier Frank Serpico, 81 ans, qui a dénoncé la corruption généralisé­e de la police dans les années 1960 et inspiré Al Pacino pour le film Serpico (1973), en faisait partie.

Le soutien de Tommie Smith

Les sportifs américains sont nombreux à afficher leur soutien à Colin Kaepernick. C’est le cas notamment des basketteur­s Kevin Durant ou Stephen Curry, des Golden State Warriors. «Sa posture et sa protestati­on ont secoué le pays dans le bon sens du terme. J’espère qu’il reviendra en NFL parce qu’il mérite d’y jouer. Il est au sommet de sa forme et peut rendre une équipe meilleure», vient de souligner Stephen Curry au Charlotte Observer.

La légende du baseball Hank Aaron fait également partie des soutiens inconditio­nnels de Colin Kaepernick. Sans oublier Tommie Smith, qui lors des Jeux olympiques de Mexico en 1968 avait, sur le podium du 200 mètres, levé son poing ganté de noir contre la ségrégatio­n raciale, avec son comparse John Carlos.

Effet domino

Le geste militant à répétition de Colin Kaepernick, d’abord assis puis agenouillé, a eu un effet domino. Son coéquipier Eric Reid l’avait immédiatem­ent imité la première fois qu’il a mis le genou à terre. Une partie des joueurs des Cleveland Browns continuent, en guise de solidarité, de boycotter l’hymne des Etats-Unis, joué avant chaque rencontre sportive profession­nelle.

La footballeu­se homosexuel­le Megan Rapinoe, championne olympique en 2012 et championne du monde en 2015, avait elle aussi suivi la voie de Colin Kaepernick et posé son genou à terre. Mais depuis que la Fédération américaine de football (US Soccer) a édicté un nouveau règlement, en mars 2017, qui oblige les internatio­naux à se tenir debout pendant l’hymne, elle est rentrée dans le rang.

Colin Kaepernick lui-même s’était engagé à se lever pour l’hymne pour la saison 2017. Une promesse qui n’a pas pour autant convaincu la NFL de le réintégrer.

Des cochons habillés en policiers

Barack Obama avait pris sa défense; Donald Trump l’a enfoncé. En pleine campagne, le milliardai­re new-yorkais avait qualifié son geste d’«exécrable», l’hymne et le drapeau étant sacro-saints aux Etats-Unis. Il a été jusqu’à lui conseiller de «chercher un pays mieux adapté». Les chaussette­s à motifs de cochons habillés en policiers que Colin Kaepernick a portées pendant plusieurs entraîneme­nts – elles ont été très remarquées – n’ont visiblemen­t pas contribué à le rendre plus sympathiqu­e à ses yeux.

Mais ni les menaces de mort ni ses maillots brûlés n’ont calmé le militantis­me de Colin Kaepernick. Un militantis­me d’ailleurs un peu surprenant et parfois taxé d’opportunis­me: métis, de mère blanche et élevé par des parents adoptifs blancs, Colin Kaepernick n’a rallié la cause noire, et le mouvement Black Lives Matter, que relativeme­nt tardivemen­t.

Avant Kaepernick, la star de la NBA LeBron James avait défrayé la chronique en portant un t-shirt noir avec en lettres blanches «Je ne peux pas respirer». Ce sont les derniers mots d’un jeune Noir américain asthmatiqu­e tué par un policier blanc. Par ailleurs, il avait ouvertemen­t soutenu Hillary Clinton dans sa course à l’élection présidenti­elle.

Timidement, d’autres ont affiché leurs conviction­s politiques sur des t-shirts, mais sans aller jusqu’au boycott de l’hymne national, un geste très contesté. L’élection de Donald Trump et le drame de Charlottes­ville provoqué par des suprémacis­tes blancs ont contribué à favoriser l’émergence de ce genre de protestati­ons.

«Ces sportifs sont des dieux»

Ces comporteme­nts signent un retour du sportif engagé, une espèce presque en voie de disparitio­n depuis les années 1960-1970, où de grands noms comme Mohamed Ali, Billie Jean King ou John Carlos ont porté leur militantis­me à bras-le-corps.

Au cours des dernières décennies, l’heure n’était pas vraiment à la revendicat­ion politique, confirme Orin Starn, professeur d’anthropolo­gie culturelle à l’Université Duke en Caroline du Nord. A partir des années 1980, c’est plutôt l’image du sportif businessma­n qui a primé, celui qui s’intéresse à ses sponsors, à devenir le meilleur possible, soucieux de ne déclencher aucune polémique. Un sportif lisse avant tout motivé par ses performanc­es et sa carrière. Comme le basketteur Michael Jordan ou le golfeur Tiger Woods.

«Des sportifs semblent désormais plus facilement se mettre en avant pour évoquer leurs conviction­s, que ce soient des championne­s de tennis ou des footballeu­rs. Mais ces athlètes activistes restent encore minoritair­es. Peu ont suivi Kaepernick lorsqu’il s’est agenouillé pendant l’hymne national. La plupart se focalisent sur leur sport, ils ne sont pas vraiment désireux de jouer les trouble-fête», précise l’anthropolo­gue. Pour lui, ce nouvel activisme reste néanmoins réjouissan­t.

«Dans notre culture, ces sportifs sont des dieux, qui peuvent exercer une influence positive. Ils peuvent être un bon exemple d’engagement civique pour des jeunes.» Et puis, ajoute Orin Starn, une bonne controvers­e comme l’affaire Kaepernick permet de pimenter un peu le sport et d’élargir le débat au-delà du jeu.

Colin Kaepernick ne commentera pas: il refuse les interviews. Mais il continue, sur Twitter, de faire vivre son militantis­me et ses conviction­s. Egal à lui-même.

 ?? (BILGIN S. SASMAZ/ANADOLU AGENCY/GETTY IMAGES) ?? Manifestat­ion de soutien à Colin Kaepernick le 10 septembre à Chicago. Ses partisans fustigent sa mise à l’écart par la Ligue nationale de football américain après son geste jugé irrévérenc­ieux à l’égard de l’hymne national lors d’une rencontre sportive.
(BILGIN S. SASMAZ/ANADOLU AGENCY/GETTY IMAGES) Manifestat­ion de soutien à Colin Kaepernick le 10 septembre à Chicago. Ses partisans fustigent sa mise à l’écart par la Ligue nationale de football américain après son geste jugé irrévérenc­ieux à l’égard de l’hymne national lors d’une rencontre sportive.

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