Le Temps

A Genève, la 41e édition de La Bâtie a fait fort

Mohamed El Khatib, Laurence Yadi, Anne Teresa De Keersmaeke­r, Oskar Gomez Mata ont régné sur une quinzaine aussi enthousias­mante que délicate. Notre bilan

- ALEXANDRE DEMIDOFF ET MARIE-PIERRE GENECAND

Les histoires d’amour finissent parfois bien. Alya Stürenburg Rossi clôturera ce samedi un règne de dix ans à la tête du festival La Bâtie à Genève. Elle ne l’a pas révolution­né, mais, à vrai dire, personne ne le lui demandait. Elle en a soigné le profil, contempora­in classique, aventurier sans excès, ouvert aux artistes de la scène les plus significat­ifs du moment. Elle a été soucieuse aussi de faire de sa quinzaine un rendez-vous de référence, en privilégia­nt depuis 2009 un invité de marque, le compositeu­r John Adams l’an passé, le metteur en scène hispano-genevois Oskar Gomez Mata et l’artiste français Mohamed El Khatib cette année.

«A Love Supreme» à la folie

Cette 41e édition a tenu ses promesses et plus que ça. On n’a certes pas tout vu – à l’affiche, une quarantain­e de concerts et spectacles –, mais on a vécu, certains soirs, la liesse d’un public amoureux ou tout simplement reconnaiss­ant. Impossible d’oublier par exemple le solo méditatif de la danseuse genevoise Laurence Yadi, dirigé par son compagnon Nicolas Cantillon dans Today.

Et que dire des quatre garçons en noir d’A Love Supreme, de leur façon d’épouser l’élégie charmeuse de John Coltrane, de se lover dans son souffle – pièce sublime d’Anne Teresa De Keersmaeke­r et de Salva Sanchis?

La révélation de Mohamed El Khatib

L’intelligen­ce du corps, donc, a caractéris­é cette édition. Mais aussi la légèreté et une humanité troublante. On a découvert ainsi le travail de Mohamed El Khatib, cet ex-sociologue qui tisse sa toile en marge de la fiction, dans le terreau des situations précaires de la vie quotidienn­e et des émotions. On a aimé retrouver Oscar Gomez Mata et son théâtre qui confronte le public à la dure réalité mais sur un mode ironique qui n’oublie jamais de s’amuser.

La pièce coup de poing de Vincent Macaigne

Un ton dans lequel s’inscrit l’amuseur Pieter Ampe, auteur d’une chronique de la séduction qui finit par une réflexion bouleversa­nte sur la création. Sans oublier le très stylé Mathieu Bertholet, qui a livré une version fluide de 4.48 Psychose, oeuvre testamenta­ire de Sarah Kane.

Vincent Macaigne, en revanche, défend une esthétique baroque et coup de poing: il cogne contre le capitalism­e en déroute. Vu au Théâtre de Vidy, son Je suis un pays... tranche dans cette Bâtie butineuse et rappelle des éditions plus sombres, celles consacrées à Milo Rau et Gisèle Vienne.

Impossible d’oublier le solo méditatif de la danseuse genevoise Laurence Yadi, dirigé par Nicolas Cantillon dans «Today»

Et Alya Stürenburg Rossi, que retient-elle de ces jours insomniaqu­es? «L’ultime soirée de cette édition, celle que je n’ai pas encore vécue et qui aura lieu ce samedi soir au Lieu central – la Maison communale de Plainpalai­s. Stephan Eicher, Simon Baumann et leur Polstergru­ppe investiron­t les étages du bâtiment et le spectateur déambulera à sa guise.» Au bout de cette flânerie musicale, elle fera sans doute ses comptes: selon les premières estimation­s, cette édition a attiré près de 35 000 spectateur­s pour un taux d’occupation des salles dépassant les 90%.

L’une des pièces les plus délicates qu’on a vues s’appelle Finir en beauté, salutation de Mohamed El Khatib à sa mère défunte. Ce titre vaut comme commentair­e: Alya Stürenburg Rossi finit en beauté.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland