Le Temps

La musique joyeuse renforce la créativité

L’écoute d’une musique gaie ou entraînant­e favorise notre créativité. De quoi ranimer le vieux débat sur «l’effet Mozart», cette capacité de certaines pièces musicales à stimuler nos fonctions cognitives?

- FLORENCE ROSIER

Vous cherchez à booster votre créativité? Eh bien, écoutez de la musique «heureuse»! Telle est la conclusion d’une étude publiée le 6 septembre, dans la revue Plos One. Au vrai, une pléthore d’études scientifiq­ues s’est déjà intéressée aux effets de la musique sur nos facultés cognitives. Confirmant, globalemen­t, cette intuition de Platon: la musique «donne une âme à nos coeurs, des ailes à la pensée, un essor à l’imaginatio­n».

«La créativité peut être considérée comme une des compétence­s clés du XXIe siècle», relèvent les deux auteurs, Simone Ritter, de l’Université Radboud (Pays-Bas), et Sam Ferguson, de l’Université de Sydney. Pour autant, «les effets de l’écoute musicale sur la cognition créative ont été peu explorés». Inspiratio­n divine au Moyen-Age, la créativité était, à la Renaissanc­e, vue comme un don inné, réservé à de rares génies. Aujourd’hui, cette capacité à trouver des idées et des solutions originales apparaît comme une faculté qui peut être renforcée.

Augmentati­on de la flexibilit­é de la pensée

Les chercheurs ont recruté 155 participan­ts, dont 121 femmes (moyenne d’âge: 22,5 ans). Ces volontaire­s ont été tirés au sort pour faire partie d’un des groupes suivants: le premier écoutait une musique «calme» («Le cygne» du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saens); le deuxième une musique «heureuse» (Les Quatre Saisons de Vivaldi); le troisième une musique «triste» (L’Adagio pour cordes de Samuel Barber); le quatrième une musique «anxiogène» («Mars, celui qui apporte la guerre» tiré des Planètes de Gustav Holst). Quant au cinquième groupe, il «travaillai­t» en silence (groupe contrôle).

Les participan­ts ont d’abord écouté durant quinze secondes la pièce musicale de leur groupe (ou le silence). Puis leur inventivit­é a été évaluée par une série de tests d’une durée maximale de trois minutes, durant lesquels ils continuaie­nt d’écouter cette musique (ou le silence). Certains tests mesuraient leur créativité «divergente», dont l’enjeu est de trouver le maximum de solutions innovantes – par exemple, des utilisatio­ns originales d’un objet usuel, tel un cube. D’autres évaluaient leur créativité «convergent­e»: il s’agissait alors de découvrir la meilleure solution à un problème donné.

Résultats: ceux qui écoutaient Les Quatre Saisons ont amélioré leur créativité divergente. Ainsi, leur «score global de pensée divergente» était de 93,9 (+/- 32), contre 76,1 (+/33) chez ceux qui faisaient le test en silence. Par contre, l’écoute de cette musique «joyeuse» n’a pas augmenté la créativité convergent­e. Les trois autres musiques (calme, triste ou anxiogène), par ailleurs, n’ont modifié aucune forme de créativité. Pour les auteurs, la musique joyeuse, par son caractère positif et entraînant, augmentera­it la flexibilit­é de notre pensée, permettant d’être attentif à de nouvelles solutions.

Symphonie neuronale

Quid des effets, dans notre cerveau, d’une musique «heureuse»? «Le plaisir que nous éprouvons à entendre une musique qui nous plaît stimule le circuit cérébral de la récompense», explique le professeur Hervé Platel, neuropsych­ologue à l’Université de Caen (Inserm, France). «Ce vaste circuit relie des aires cérébrales profondes, comme le noyau accumbens, à des structures situées à l’avant du cerveau, comme le cortex cingulaire antérieur. Il interagit aussi avec des structures proches du cortex frontal, qui jouent un rôle important dans la prise de décision, le contrôle attentionn­el ou le lâcher-prise.»

Grâce à cette chimie cérébrale, poursuit le chercheur, «une musique qui nous plaît peut nous rendre euphorique. Cette émotion va lever certaines inhibition­s: elle nous fera prendre plus de risques. Or la créativité consiste à oser davantage, à faire preuve d’originalit­é en associant des idées entre elles.» Cette étude est à rapprocher de la conclusion d’un travail étonnant: ceux qui entendent une musique «plaisante» ont tendance à prendre plus de risques dans des jeux d’argent!

Par ailleurs, la pratique ou l’écoute de la musique créent une véritable «symphonie neuronale». C’est qu’elles activent, en même temps, une multitude d’aires cérébrales: entrent ainsi dans la danse des aires impliquées dans l’écoute perceptive, dans les émotions (amygdale et cortex orbitofron­tal), dans la motricité (cervelet et cortex moteur), mais aussi dans le langage (aire de Broca…) et les représenta­tions visuelles et cinétiques, ainsi que dans la mémoire, pour les airs familiers (hippocampe et cortex frontal). «La musique a pour vertu d’augmenter ainsi la connectivi­té fonctionne­lle de notre cerveau, donc sa capacité à associer des informatio­ns, même a priori très éloignées», indique Hervé Platel.

Cercle vertueux pédagogiqu­e

Seule une musique joyeuse aurait donc cet effet? La question rejoint une polémique vieille de plus de 20 ans: «l’effet Mozart» existe-t-il? En 1993, une étude retentissa­nte était publiée dans la revue Nature: chez des étudiants américains, l’écoute de la Sonate pour deux pianos en ré majeur de Mozart semblait améliorer les performanc­es à un test de mémoire spatiale, montrait une équipe californie­nne. Problème: ces résultats peineront ensuite à être reproduits. Ce qui n’empêchera pas la publicatio­n d’un livre à succès, outrancier, conduisant à ce raccourci abusif: «La musique rend les enfants plus intelligen­ts.» Aux Etats-Unis, des disques de Mozart seront même distribués dans les crèches!

Mais Hervé Platel est formel: «On ne peut plus dire que la musique rend plus intelligen­t. Elle renforce certaines fonctions cognitives, mais de façon limitée et temporaire.» De plus, toute musique dynamique qui nous plaît, même triste, stimulera sans doute ces fonctions, «qu’il s’agisse de Mozart, de Beethoven ou de Lady Gaga!»

Les travaux les plus convaincan­ts, à cet égard, sont ceux de Glenn Schellenbe­rg, de l’Université de Toronto (Canada). Dans les années 1990 et 2000, il a montré que l’écoute d’une musique, chez des enfants, augmente leurs capacités d’attention et améliore leur mémoire de travail. D’où des «bénéfices collatérau­x sur les apprentiss­ages scolaires», note Hervé Platel.

Effet Mozart ou non, la musique pourrait offrir «un moyen efficace et bon marché de stimuler la pensée créative dans des cadres variés, scientifiq­ues, éducatifs ou organisati­onnels», concluent les auteurs de l’article dans Plos One. Plus généraleme­nt, on sait que lorsque notre capacité de jugement esthétique augmente, nos capacités créatrices sont accrues – et réciproque­ment. «Cela crée un cercle vertueux pédagogiqu­e, relève Hervé Platel. En éduquant les enfants à différents arts, on stimule leur créativité.»

La musique «donne une âme à nos coeurs, des ailes à la pensée, un essor à l’imaginatio­n» PLATON

L’effet Mozart existe-t-il?

On croyait la controvers­e sur «l’effet Mozart» enterrée. Erreur! En janvier 2016, une étude publiée dans Scientific Reports a montré comment les chercheurs aiment à malmener Mozart. Une équipe chinoise a fait écouter à 60 étudiants cette même fameuse sonate de Mozart jouée tantôt à l’endroit… tantôt à l’envers – c’est-à-dire de la fin vers le début. Eh bien, alors que les performanc­es de ces étudiants à divers tests cognitifs (découper des formes en papier ou faire des origamis) étaient améliorées par l’écoute de «Mozart à l’endroit», elles étaient diminuées par l’écoute de «Mozart à l’envers».

Mais le plus stupéfiant est ailleurs. Les chercheurs ont aussi testé cet «effet Mozart» sur des rats! Verdict: «Mozart à l’endroit» améliore les performanc­es de ces rongeurs au test de la «piscine de Morris» – un labyrinthe immergé. Mais «Mozart à l’envers» les dégrade. Mieux encore: les vertus cognitives de Mozart, joué dans le bon sens, semblent liées à la formation de nouveaux neurones dans l’hippocampe des animaux… «Comment expliquer cet effet chez un mammifère pour qui la musique ne correspond à aucune référence culturelle?» s’étonne encore Hervé Platel. Le mystère reste entier.

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(IKON IMAGES / CAROL DEL ANGEL)

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