QUAND LES TRUIES SE TRANSFORMENT EN MATA HARI
Lorsque des albums choisissent le registre de l’humour intergénérationnel, le plaisir se partage en famille
◗ Olivia joue les espionnes devrait ravir les auteurs d’études genre, tant la petite héroïne de Ian Falconer fait décidément preuve de caractère, d’esprit d’initiative, d’autonomie! L’album est aussi une réflexion (un brin moralisatrice) sur ces phrases qu’on saisit au vol sans vraiment les comprendre. Ce qui, chez certains enfants (et apparemment aussi chez certaines jeunes truies), peut être générateur d’angoisse.
Lorsque Olivia entend que sa maman parle d’elle au téléphone, elle tend l’oreille: qu’est-ce que ça signifie «mettre du plomb dans la cervelle»? Et cette «véritable institution» où on veut l’emmener, si c’était une prison? La petite truie se transforme en Mata Hari d’intérieur, se fondant dans le décor, glissant son groin entre chaque interstice.
Ian Falconer réussit là un nouvel album qui réunira dans une même bonne humeur toutes les générations. Les illustrations sont un régal de drôlerie (le smoothie aux myrtilles!), d’inventivité (le New York City Ballet et ses silhouettes porcines), de savants clins d’oeil (le camouflage devant un tableau de Rothko).
On admire la virtuosité du trait, le graphisme léger et puissant, l’alchimie des techniques, gouache, photographie, collage, fusain, qui font de chaque page une aventure visuelle.
Décalage et quiproquos sont aussi au rendez-vous de C’est quoi être un bon
élève?, du duo Gilles Rapaport et Laurence Salaün, épaulé ici à nouveau par l’enseignante Emmanuelle Cueff. Etre un bon élève, c’est, par exemple, «préparer ses affaires», «dompter sa peur», «se poser des questions». Oui mais… voyez quelles questions: «Qui est amoureux de qui? Qu’est-ce qu’on mange à la cantine ce midi?»
Les préceptes sont cohérents, c’est après que ça dérape; soit dans l’exemplification, délirante, mais aussi souvent questionnante; soit dans le dessin, plein d’humour, de références.
Au final, c’est une journée d’écolier qui défile sous nos yeux, plus cancre gaffeur que modèle studieux, avant le retour à la maison, le repas en famille, la nuit. On voit alors un petit enfant noir affirmer à son père: «J’ai fait un rêve», et ce dernier lui répond: «C’est ça, Martin, retourne te coucher.»
Oui, chacun, quel que soit son âge, trouvera dans cet album du rire, et une confiance. ▅