PETER BICHSEL VIRTUOSE
«Le Buson», un recueil «intraduisible» de l’écrivain suisse alémanique, enfin disponible en français
◗ Comment se fait-il que les nouvelles de Peter Bichsel rassemblées sous le titre Le Buson, un des livres préférés de l’auteur pourtant – et le plus applaudi –, soient aussi les dernières à être traduites en français en entier, trente-deux ans après leur parution? Daniel Rothenbühler donne la réponse dans une postface éclairante. C’est qu’elles posent, expliquet-il, un singulier défi de traduction, plus aigu encore que pour les autres écrits de Bichsel en raison notamment de leur proximité avec l’oralité: «Conserver la «grâce du naturel» de la langue en y incorporant de multiples touches stylistiques, lier le plaisir de la narration spontanée à la remise en question réitérée de ce qui est narré.» Alexandre Pateau a relevé ce défi en virtuose, francisant aussi bien que possible ces ingrédients. LA BELLE MAGUELONNE À SOLEURE
La nouvelle qui donne son titre au recueil met en scène la belle Maguelonne, personnage d’une vieille légende provençale en quelque sorte littérairement immigré à Soleure. Cette idée, développée par Bich- sel, revient au poète Wilhelm Lehmann dans un poème datant de 1950, qui ouvre la nouvelle. La prose de Bichsel se joue des temps et des lieux, entre la Soleure moyenâgeuse et la Soleure contemporaine des années 1970. Il faut rappeler que jusqu’à la Révolution française, Soleure était le siège de l’ambassade de France en Suisse. Quelques centaines d’ambassadeurs, occupés surtout à recruter des mercenaires, versaient des pensions aux nobles soleurois. Bichsel brosse un tableau grinçant. Maguelonne est toujours prête à se soûler et Uli, un marginal soleurois, apparaît d’abord cuvant son vin dans le monde contemporain du souterrain de la gare. Il est pris dans une «empoignade qui a quelque chose d’officiel», geste cependant «pas dénué de tendresse». On retrouve Uli à quatre époques au moins de l’histoire de la ville, toujours à la recherche de la belle Maguelonne. Les époques se mêlent, parfois dans une même phrase.
Dans les autres nouvelles, Bichsel se joue pareillement de la chronologie et des convenances littéraires pour affirmer finalement la prééminence du récit en tant que conte affranchi de justifications, d’explications et de tout contrôle de vraisemblance. Bichsel ne s’intéresse pas à ce qui s’est soi-disant passé, mais à la vérité des récits dans un espacetemps échappant à la mémoire individuelle.