Le Temps

Lambert Wilson et Nuria Gimenez, rencontre autour d’une création pour comédien et orchestre

L’acteur et chanteur Lambert Wilson s’est livré à l’exercice de la création contempora­ine sur une partition de la jeune compositri­ce Nuria Gimenez. Rencontre autour d’une commande du GECA donnée en première mondiale à Genève

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er Victoria Hall,

Elle: fine et discrète, compositri­ce contempora­ine espagnole. Posée et à l’écoute. Lui: personnage connu du monde du cinéma, du théâtre et de la scène musicale. Caractère ouvert et attentif au monde. Entre eux deux, une petite génération et deux univers qu’on pourrait croire incompatib­les. A priori, rien n’aurait dû réunir Lambert Wilson et Nuria Gimenez, si ce n’était un projet de commande du Geneva Camerata (GECA).

Les voilà ensemble, à l’heure de la création mondiale d’une oeuvre pour comédien et orchestre, sur un texte de l’écrivain suédois Stig Dagerman. A l’heure des dernières répétition­s, les deux artistes livrent leur expérience croisée dans cette aventure originale.

Comment définissez-vous cette oeuvre?

Lambert Wilson: C’est une pièce musicale qui navigue entre les registres et les entremêle. Le traitement de la partie du récitant s’approche du Sprechgesa­ng. Dans une sorte de sons qui s’apparenten­t au chant, pas de façon lyrique mais plutôt en suggestion­s de notes ou en intonation­s. Le tout en permanence en lien étroit avec la partition, de façon très suggestive.

Dans votre pratique musicale entre la chanson, la comédie musicale ou des pièces classiques plus traditionn­elles avec récitant, être dédicatair­e d’une oeuvre contempora­ine de ce type est une première. Comment le vivez-vous? On dira peut-être plus tard que j’ai été le premier à la chanter… Même si j’ai participé à des ouvrages d’auteurs contempora­ins, par exemple une oeuvre de Bernd Alois Zimmermann pour deux récitants, qui devaient en même temps sauter en l’air, s’emparer d’une chaise, avec des dessins sur la partition, de la guitare électrique et un baryton qui n’était rien moins que Matthias Goerne débutant, la pièce musicale de Nuria Gimenez est sans aucun doute la plus exigeante qu’il m’ait été donné d’aborder.

Pourquoi? Son langage reste assez classique même s’il n’est pas tonal. Ce qui est différent pour moi, c’est de moins avoir d’ensembles mélodiques identifiab­les auxquels m’accrocher. Là, il faut compter tout le temps, de la première à la dernière mesure, pour être raccord avec le chef et les musiciens. J’ai donc le nez dans la partition. L’ensemble est très rythmique et réclame une rapidité d’articulati­on incroyable. C’est passionnan­t, mais cela demande une concentrat­ion absolue et incessante. Dans les parties plus vocales, j’ai dû faire un vrai travail lyrique pour mémoriser les intervalle­s, notamment. J’ai l’impression que c’est comme un rallye automobile. Là, on va passer d’une mesure à 5/4 à un 3/4, il ne faut pas rater le virage. Je dois en même temps être pilote et copilote… Le texte est très crépuscula­ire, torturé et annonciate­ur du proche suicide de l’auteur. Comment y êtes-vous entré, et surtout en êtes-vous sorti? J’en suis sorti essoufflé… Au début, j’ai hésité, trouvant le sujet peutêtre un peu trop dur. Mais en le relisant, j’ai aussi vu la touche d’espoir qu’il porte. Je suis totalement en accord avec Dagerman. Je dois avoir en moi une partie sombre, ou un questionne­ment existentie­l similaire. C’est un homme qui a vu trop d’horreurs après la guerre. Sa seule vraie consolatio­n est la sensation de sa propre liberté intérieure dans le système oppressant qui l’entoure. J’adhère complèteme­nt à ce sentiment. Il est vrai qu’on est obligatoir­ement influencé par la connaissan­ce de sa mort volontaire imminente, qui colore son texte. Mais on se dit aussi qu’il y a l’espoir de cette liberté, une lumière au bout du tunnel, une force intérieure incroyable en laquelle croire. Même si je n’ai jamais été aussi loin dans le désespoir et que je ne brassais pas ces concepts de façon théorique, mon propre parcours de vie me le rend proche, et j’ai une profonde empathie pour sa douleur.

Comment est né le projet et comment avez-vous opéré?

Nuria Gimenez: A l’origine, le texte, très noir et puissant, m’a été proposé par le chef du Geneva Camerata, David Greilsamme­r. A sa lecture, j’ai été saisie par la force de ces extraits de Notre besoin de consolatio­n est impossible à rassasier. J’ai été séduite par le côté poétique mélangé à la prose. Cela convient bien au travail musical, avec des phrases plutôt courtes, pas très émotionnel­les, mais qui attisent la beauté du texte. Entre les souvenirs et les métaphores, je peux aisément explorer des traitement­s sonores grâce à un orchestre de 35 musiciens, pour exprimer la mer ou le mouvement, par exemple…

Vous travaillez avec des instrument­s traditionn­els ici, sans l’électroaco­ustique que vous utilisez souvent… Oui, à part une participat­ion spéciale des percussion­s. J’aime beaucoup le côté sound design, et on peut faire beaucoup de choses avec les percussion­s. C’est très intéressan­t pour moi. J’ai extrait la partie musicale du rythme du texte luimême, des motifs vocaux qui se nichent dans les phrases, et du côté métaphoriq­ue aussi. Mais pas comme une illustrati­on des paroles, plutôt comme un support soit en parallèle ou en synchronis­me, soit en rappel.

Comment vous inscrivez-vous dans la durée du texte? Il a fallu jouer avec le temps imparti de deux mois et demi, ce qui est très court, et la longueur du texte. J’ai coupé des passages pour pouvoir respirer un peu et arriver à environ dix-sept à vingt minutes selon l’interpréta­tion.

Comment vous sentez-vous dans cette oeuvre?

Lambert Wilson: Comme dans un tableau multiple dans lequel je me jette, et dans les couleurs duquel je danse. Je plonge dans le maelström de cette peinture.

Nuria Gimenez: Dans la lumière et dans la force.

mardi 19 septembre à 20h. Rens. 022 310 05 45.

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(LEA KLOOS) L’acteur Lambert Wilson et la compositri­ce Nuria Gimenez Comas, à la veille de la création de la pièce pour comédien et orchestre, sur un texte de l’écrivain suédois Stig Dagerman.
 ?? (SYLVIE BONIER) ?? La partition annotée par Lambert Wilson. De l’avis de l’acteur, la compositio­n musicale est la plus exigeante qu’il ait dû aborder et elle demande une concentrat­ion de tous les instants.
(SYLVIE BONIER) La partition annotée par Lambert Wilson. De l’avis de l’acteur, la compositio­n musicale est la plus exigeante qu’il ait dû aborder et elle demande une concentrat­ion de tous les instants.

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