La Catalogne sous asphyxie financière
Le gouvernement de Madrid a décidé de retirer à la Catalogne le contrôle de ses finances, pour l’empêcher de financer le référendum d’indépendance du 1er octobre avec de l’argent public. Après les menaces, des actes
Une patrouille de police surveille une manifestation de soutien à l’indépendance, le dimanche 17 septembre, dans les rues de Madrid. «Nous avons établi un nouveau système de contrôle des dépenses, afin d’éviter des activités illégales» LE MINISTRE ESPAGNOL DU BUDGET, CRISTOBAL MONTORO
Le combat sans merci que se livrent Madrid et Barcelone, dont les autorités s’évertuent à organiser pour le 1er octobre un référendum d’autodétermination prohibé par le gouvernement espagnol, touche désormais le nerf de la guerre: les finances. Celles de la Catalogne ont été mises sous tutelle par le Ministère espagnol de l’économie. Concrètement, cela veut dire que les dirigeants séparatistes catalans ne peuvent plus disposer des quelque 1,4 milliard d’euros qu’ils collectent au titre de divers impôts. Motif: le gouvernement central, conservateur, de Mariano Rajoy estime que c’est là le seul moyen de s’assurer que les indépendantistes conduits par Carles Puigdemont ne consacrent pas un seul euro public à l’organisation de la consultation proscrite: urnes, imprimerie, location de locaux, publicité institutionnelle… Déjà, la garde civile aurait mis la main sur 1,5 million d’affiches, de tracts ou de dépliants liés au scrutin de la discorde.
Des positions irréconciliables
Le pouvoir central et cette région rebelle se regardent en chiens de faïence et campent sur leurs positions. «Le référendum n’aura pas lieu», menace Madrid. «Il est inimaginable de ne pas voter le 1er octobre», martèle-t-on à Barcelone. Le 21 juillet, dans ce climat de méfiance mutuelle, le gouvernement Rajoy avait obligé l’exécutif de Puigdemont à produire chaque semaine un document justifiant ses recettes et ses dépenses. Or, le vice-président de Catalogne, le très indépendantiste Oriol Junqueras, a désobéi l’autre jour en cessant d’envoyer ces justificatifs hebdomadaires. D’où la mise sous tutelle des finances de la Catalogne, Madrid essayant désespérément d’entraver toute entreprise contribuant à l’organisation de la consultation. «Nous avons établi un nouveau système de contrôle des dépenses, a précisé le ministre du Budget Cristobal Montoro, afin d’éviter des activités illégales.» Dans la pratique, l’Etat versera directement les salaires des fonctionnaires, les allocations sociales et le paiement des factures des fournisseurs des services publics – sans passer par Barcelone, comme c’était le cas jusqu’alors.
Bien qu’elle constitue l’une des locomotives de l’économie espagnole (19% du PIB national), la Catalogne connaît actuellement une situation financière désastreuse. Avec une dette totale de 51 milliards d’euros contractée avec l’Etat espagnol, et un déficit budgétaire de près de 2 milliards d’euros, elle est au bord de la banqueroute. Cette forte dépendance financière constitue l’un des principaux arguments de ceux qui prônent la sécession. «Madrid nous étouffe, n’investit pas ici, et s’arroge une bonne partie de notre richesse, confiait récemment Oriol Junqueras. Alors nous n’avons d’autre solution que la pleine souveraineté.» Dans la capitale espagnole, à l’inverse, on brosse un avenir apocalyptique si la Catalogne obtenait l’indépendance. «Dans cette perspective, leur économie connaîtrait une contraction de 30% et le chômage se multiplierait par deux», a répliqué hier le ministre de l’Economie Luis de Guindos. En face, les séparatistes parlent de se débarrasser du «boulet» espagnol pour devenir une République aux «finances assainies».
Le bras de fer financier se produit, alors que la confrontation politique augmente de jour en jour. Sur les 948 maires catalans, 750 ont affirmé qu’ils ouvriront leurs locaux pour la tenue du référendum du 1er octobre. Mais le Parquet les a tous convoqués afin de leur signifier que ce geste constituerait un «acte illégal» et aurait des «conséquences judiciaires». La clé réside dans les principales villes. Cinq d’entre elles, tenues par des socialistes non nationalistes, refusent de se prêter «à la mascarade démocratique» organisée par les séparatistes.
Une participation attendue de 60%
Comme toujours, l’enjeu crucial se porte sur Barcelone, où la maire Ada Colau cultive l’ambiguïté: «Je n’opposerai pas d’obstacles à la consultation, mais je n’irai pas contre la légalité en vigueur.» D’après le quotidien La Vanguardia, si le référendum avait lieu, la participation atteindrait 60%, et 60% des votants se prononceraient en faveur de l’indépendance. Des chiffres élevés qui conféreraient sans nul doute une forte légitimité à la consultation – souhaitée par 70% des 7,5 millions de Catalans. Cette perspective électorale conforte à coup sûr le pouvoir central dans sa détermination d’interdire, d’une manière ou d’une autre, la tenue de ce référendum.
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