Pour taxer le Web, Paris passe par Bruxelles
La proposition française d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires des grands acteurs d’Internet pourrait déboucher sur un accord européen d’ici à la fin de l’année. Ce projet est soutenu par dix autres Etats membres, dont l’Allemagne et l’Italie
La création d’un nouvel impôt numérique sera bien à l’agenda du sommet «numérique» des chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne (UE) à Tallinn, en Estonie, le 29 septembre. Dans un communiqué publié dimanche, Emmanuel Macron a promis de remettre ce jour-là sur la table des 28 la proposition française d’une «taxe d’égalisation sur le chiffre d’affaires» destinée à obliger les géants du Web à payer des impôts dans les différents pays de l’Union, en proportion de leur volume d’activités commerciales.
Ce projet, soumis par le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, à ses pairs samedi, lors de l’Eurogroupe organisé dans la capitale estonienne, y a reçu le soutien de dix autres pays membres (Allemagne, Italie, Espagne, Autriche, Bulgarie, Grèce, Portugal, Slovénie, Roumanie, Lettonie). Cette taxe sur le chiffre d’affaires vise à remplacer, pour les GAFA (acronyme né de la contraction des initiales de Google, Facebook, Amazon, Apple) le traditionnel impôt national sur les sociétés que ces multinationales parviennent à éviter grâce à leur implantation dans des pays à faible taux d’imposition comme l’Irlande ou le Luxembourg.
Solution rapide
L’ambition est de parvenir à une position commune d’ici à la fin de l’année, bien avant que les projets de directive fiscale sur les entreprises numériques, concoctés par la Commission européenne, puissent voir le jour. Lorsqu’il était ministre de l’Economie, l’actuel président français avait défendu une «solution rapidement opérationnelle» pour taxer les multinationales du Web dont l’implantation des quartiers généraux européens en Irlande, ou dans le Grand-Duché, répond avant toute chose à des considérations fiscales.
Il y a un an, le «Tigre celtique» – qui avait sollicité l’aide financière de Bruxelles en 2010 à hauteur de 85 milliards d’euros – a été condamné par la Commission de Bruxelles à se faire rembourser par Apple (premier contribuable du pays) plus de 13 milliards d’euros de taxes, après avoir concédé à la multinationale des «avantages fiscaux illicites».
Les autorités de Dublin ont depuis fait appel. Mais le fossé fiscal demeure béant: «On ne peut pas attendre une directive communautaire sur la taxation des GAFA, explique-t-on à Bercy. Le sujet est urgent. Notre projet de taxe d’égalisation sur le chiffre d’affaires est prêt à l’emploi. Il faut foncer.»
Taxer le chiffre d’affaires européen
Le contenu de cette mesure est simple: plutôt que de s’escrimer à taxer les profits des GAFA dans tel ou tel pays – ce qui oblige à démêler leurs artifices comptables –, les Etats doivent, selon Paris, s’attaquer au chiffre d’affaires de ces géants du Web généré en Europe, et non plus à l’intérieur des frontières nationales. Selon le Ministère français des finances, les outils informatiques existent pour évaluer les opérations commerciales de ces multinationales à l’échelle de l’UE. Des pays partenaires de l’Union européenne, comme la Suisse, pourraient s’y associer s’ils le désirent.
«C’est faisable. Arrêtons de s’inventer des obstacles techniques. Nous pouvons contrôler les livraisons de colis, les connexions internet, mesurer les clics… On ne peut plus se laisser berner», expliquet-on à Paris, où les pouvoirs publics n’ont pas digéré le fait d’avoir perdu cet été, devant le Tribunal administratif, la bataille qui les opposait à Google.
Le fisc français réclamait 1,1 milliard d’euros (1,26 milliard de francs) à l’opérateur du moteur de recherche pour la période 20052010. Le 12 juillet, les magistrats ont estimé qu’en effet le groupe américain ne disposait pas, dans l’Hexagone, d’un «établissement stable» et que sa filiale française ne gérait pas ses publicités en ligne, commanditées à partir de l’Irlande. Une jurisprudence problématique.
Concurrence avec la TVA
Difficulté: cette taxe sur le chiffre d’affaires, et non sur le bénéfice, entrerait en concurrence avec la TVA, seul impôt européen dont le produit alimente en partie le budget de l’Union. D’où la préférence de la Commission européenne pour l’instauration de règles communes, au sein de l’Union, pour l’impôt sur les sociétés. Paris pourrait, dès lors, accepter que sa taxe sur le chiffre d’affaires soit transitoire.
Pourvu qu’elle soit mise en place: «La procédure communautaire est trop lourde. La réalité fiscale des GAFA oblige à trouver vite les moyens de les empêcher d’échapper davantage à l’impôt», complète-t-on au Ministère français des finances. A titre d’exemple, le fisc français avait, en 2015, accusé Facebook de ne déclarer en France que 12,6 millions d’euros de chiffre d’affaires (contre une estimation s’élevant à 266 millions d’euros), imposés à hauteur de 320000 euros.
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Selon le Ministère français des finances, les outils informatiques existent pour évaluer les opérations de ces groupes à l’échelle de l’Union européenne