Le Temps

Néonazi repenti

«J’ai répandu et planté tellement de graines de haine… Des gens que j’ai recrutés sont en prison à cause de moi» Leader d’un groupe de skinheads à l’âge de 16 ans, l’homme a quitté le milieu des suprémacis­tes blancs. Il tente aujourd’hui d’aider ceux qui

- CHRISTIAN PICCIOLINI VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Il a tout fait. Il a tabassé des Noirs, vendu des drapeaux de Confédérés dans son échoppe de musique, participé à des réunions du Ku Klux Klan; il s’est tatoué «white power» et des svastikas sur le corps et a fait le salut hitlérien devant un camp de concentrat­ion. Christian Picciolini raconte son parcours avec une sincérité déroutante. Patient, il n’élude aucune question gênante et replonge avec nous dans les heures les plus sombres de son passé.

Il le fait d’autant plus volontiers qu’il est désormais un «ex». Un ex-néonazi raciste, violent, colérique et haineux. Repenti, Christian Picciolini gère aujourd’hui Life After Hate, une organisati­on fondée en 2010 qui cherche à venir en aide à ceux qui veulent quitter des mouvements extrémiste­s.

Mais revenons aux racines du mal. Tout a commencé par un simple joint, à 14 ans, à Chicago. C’était en 1987. «Je fumais, de la marijuana. Un type est venu, m’a enlevé le joint de la bouche en me disant que c’était la manière dont les juifs et les capitalist­es nous tenaient dociles. Il m’a recruté comme ça.»

Cet homme, c’était Clark Martell, le premier néonazi skinhead des Etats-Unis, leader des Chicago Area Skinheads (CASH). Il a su lui donner un cadre, une «famille». Avec la musique comme outil de propagande. «Pour la première fois, je me sentais puissant.» Christian Picciolini ne vient pas d’un milieu raciste. «Je n’avais aucune affinité avec l’idéologie d’extrême droite. Mes parents sont des immigrés italiens arrivés dans les années 1960. Ils ont dû travailler très dur, 24h/24 et 7 jours sur 7. J’étais en colère. J’avais le sentiment d’être abandonné. M’accorder de l’importance a suffi pour que je bascule.»

Très vite, il adopte tous les codes des skinheads. Quand Clark Martell est emprisonné pour avoir, avec six autres membres du clan, agressé une femme skinhead vue avec un Noir et peint un svastika avec son sang sur un mur de sa maison, il devient chef. Leader d’une des bandes d’extrême droite les plus violentes à 16 ans! «J’étais ambitieux, grande gueule, rempli de haine. Les autres me voyaient naturellem­ent comme leader. J’aimais faire peur.» Il fonde des groupes de musique, dont Final Solution, et utilise à son tour la musique pour recruter. Il ne cache pas avoir été très violent.

Comme ce jour où il chasse des Noirs d’un McDonald, les poursuit à l’extérieur, jusqu’à ce que l’un d’entre eux, paniqué, sorte son pistolet. «Nous l’avons attrapé, et frappé, frappé. Le visage en sang, il a réussi à ouvrir les yeux et à me regarder, terrifié. A ce moment-là, j’ai senti une sorte de connexion entre nous.»

C’était l’une de ses premières phases de doutes. La naissance de son enfant, à 19 ans, lui fait comprendre qu’il est capable de ressentir autre chose que de la haine. Pressé par sa femme de quitter les skinheads, Christian Picciolini mettra plus de cinq ans pour y arriver.

«Je me suis d’abord un peu mis en retrait, en me concentran­t sur la musique «white power» que je vendais et produisais moi-même. J’ai par la suite, pour gagner ma vie, dû me diversifie­r dans la vente, avec du hip-hop notamment. Des Noirs, des juifs, des homosexuel­s sont venus dans mon échoppe, malgré ma réputation. Cette empathie m’a impression­né.» Quand il coupe définitive­ment les ponts avec les skinheads huit ans après y être entré, c’est déjà trop tard. Sa femme est partie avec leurs deux enfants. Christian Picciolini se retrouve seul. Il a des pensées suicidaire­s. Une amie réussit à le faire engager chez IBM, alors qu’il n’y croyait pas.

Un de ses premiers mandats a été de se rendre dans le collège duquel il a été renvoyé deux fois. Il croise un gardien noir, le suit. Ce dernier le reconnaît, fait un pas en arrière, de peur: il se souvient de l’élève qui l’avait frappé alors qu’il tentait de s’interposer dans une rixe. Mais l’ancien néonazi est là pour s’excuser. Le gardien le prend dans ses bras. «C’est grâce à lui que j’ai écrit un livre et que je donne des conférence­s. Il m’avait fait promettre de raconter mon histoire.»

Il a fondé Life After Hate avec d’autres néonazis repentis, pour venir en aide aux victimes de radicalisa­tion de tous types, djihadiste­s compris. «J’essaie d’abord de comprendre ce qui les a poussés à adhérer à un groupe violent. J’organise ensuite des rencontres. Un antisémite avec un survivant de l’Holocauste, par exemple. Souvent, ces gens sont dévorés par la haine de l’intérieur, comme un cancer, sans même comprendre pourquoi ils ressentent une telle haine.»

Il ne nie pas aussi agir ainsi pour tenter de réparer le passé. «J’ai répandu et planté tellement de graines de haine… Des gens que j’ai recrutés sont en prison à cause de moi. Pire, le gars qui a tué six personnes dans un temple sikh du Wisconsin en 2012 écoutait ma musique.»

Avoir quitté l’extrême droite lui vaut des menaces de mort. «On me traite d’agent du FBI, d’espion à la solde d’Israël ou de sympathisa­nt de l’Etat islamique…» Il est sans concession à l’égard de Donald Trump, «le président idéal pour les suprémacis­tes blancs, à travers ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas».

«A mon époque déjà, les néonazis avaient comme stratégie la «normalisat­ion» – on se laissait pousser les cheveux, on tentait d’infiltrer tous les milieux – pour mieux recruter et prendre le pouvoir. Trump offre une plateforme d’expression parfaite pour ces milieux.»

Christian Picciolini a vécu un drame personnel, en 2004, qui aurait pu le faire à nouveau basculer. Son frère de 20 ans a été tué par un Noir alors qu’il se rendait à une fête. «Je n’étais pas en colère: le meurtrier était animé par exactement la même haine qui m’habitait des années avant.» Ses tatouages, il ne les a pas enlevés. Mais il a recouvert les plus ignobles. On n’efface pas si facilement les traces de son passé.

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