Le Temps

Le grand charabia idéologiqu­e de Donald Trump

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Il faut reconnaîtr­e à Donald Trump un sens bien à lui de la provocatio­n: mardi, au siège newyorkais de l’ONU, principale enceinte du multilatér­alisme, il s’est lancé dans un éloge décomplexé du chauvinism­e. Or, si le respect de la souveraine­té, idée martelée tout au long de son discours, est un principe fondateur de l’organisati­on internatio­nale née dans les cendres de la Deuxième Guerre mondiale, la mission de l’ONU n’en est pas moins précisémen­t de dépasser les égoïsmes nationaux pour imposer des solutions de paix par le dialogue. Le président américain a prôné l’exact inverse en appelant les chefs d’Etat présents à la «grande renaissanc­e du patriotism­e».

Pour Donald Trump, la «fierté retrouvée des peuples» est le moteur de l’histoire, ces peuples dont il faut respecter les différence­s, quels que soient leur culture ou le système politique qui les gouverne. Les Etats-Unis, promet-il, ne chercheron­t donc pas à exporter leur modèle démocratiq­ue ni leurs valeurs. Est-ce la fin de l’impérialis­me américain? Bien au contraire: les «nations souveraine­s et fortes» doivent éliminer les «petits Etats voyous», a poursuivi dans le même temps le président américain. Trois pays sont voués à un changement de régime: la Corée du Nord, l’Iran et le Venezuela. Cela revient quasiment à des déclaratio­ns de guerre.

Que faut-il comprendre? Les Etats-Unis de Trump sont-ils isolationn­istes ou interventi­onnistes? Difficile de s’y retrouver dans les multiples incohérenc­es d’un discours qui a provoqué la consternat­ion des démocrates et suscité l’approbatio­n des pouvoirs forts. Le problème n’est pas tant les contradict­ions auxquelles sont confrontée­s toutes les grandes puissances, mais l’articulati­on des priorités du président américain. Là où Barack Obama exposait une doctrine d’engagement inscrite dans le multilatér­alisme en termes sophistiqu­és, Donald Trump proclame un faux désengagem­ent exprimé dans un charabia qui n’est pas sans évoquer les envolées de Kim Jong-un.

Ce discours n’en permet pas moins de lever un doute qui persiste en Europe: non, Donald Trump n’a rien d’un isolationn­iste. Sa référence est Harry S. Truman, un président qui a procédé à un déploiemen­t de force dans le monde comme aucun de ses prédécesse­urs. A l’époque, c’était pour endiguer la progressio­n du communisme. A l’inverse, on aurait tort de suivre Donald Trump lorsqu’il affirme que ce sont «les résultats et non pas l’idéologie» qui importent. Le 45e président des Etats-Unis est à sa façon un idéologue, celui d’un nationalis­me revanchard censé redonner à son pays sa place perdue dans le monde, une place en grande partie imaginaire.

L’action de l’homme d’affaires est par ailleurs aiguillée par un autre objectif, qui relève celui-là moins de l’idéologie que du ressort psychologi­que: déconstrui­re systématiq­uement l’héritage de son prédécesse­ur qu’il n’a jamais considéré comme un véritable Américain. Cette posture vaut autant pour la politique extérieure des Etats-Unis que pour ses affaires intérieure­s. S’il faut craindre un conflit à venir dans lequel s’engagerait Washington, c’est davantage en direction de Téhéran que de Pyongyang qu’il faut tourner son regard. Donald Trump pourrait bien en fin de compte signer un deal avec Kim Jong-un, un homme qui lui ressemble. Il fera par contre tout pour briser l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, l’une des plus grandes réussites de Barack Obama et de la communauté internatio­nale pour freiner la proliférat­ion de l’atome.

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