L’Europe si peu allemande de Martin Schulz
L’ancien président du Parlement européen a largement raté sa première campagne législative pour le SPD social-démocrate. En partie parce qu’il connaît bien mieux Bruxelles que son propre pays
Lorsqu’il reçoit le Prix Charlemagne à Aix-la-Chapelle, le 14 mai 2015, Martin Schulz retient mal ses larmes. Sept ans plus tôt, lui aussi siégeait dans le public, pour applaudir une lauréate nommée… Angela Merkel. Etonnant parallèle. Elle, récompensée moins de trois ans après sa première élection comme chancelière d’Allemagne, pour son parcours personnel et pour le formidable témoignage que son accession au pouvoir offrait au monde. Lui, salué à 60 ans pour sa contribution au sein du Parlement européen, dont il parvint à demeurer président pour quatre ans, au lieu des deux années et demie rituelles.
Schulz-Merkel, ou deux Allemagne: «Nous avons tous été étonnés de le voir prendre la tête de la campagne du SPD (Parti social-démocrate), explique Alain Lamassoure, eurodéputé français. Martin était un peu devenu hors-sol, familier d’une Europe si peu allemande. Comment pouvait-il espérer
Une affiche de Martin Schulz à Cologne.
rivaliser avec cette chancelière qui, régulièrement, continue d’aller faire ses courses au supermarché et connaît, elle, son électorat par coeur?»
Un homme d’émotions
Pour comprendre la personnalité de ce francophone colérique, libraire durant vingt ans dans sa ville de Würselen (Rhénanie-du-Nord–Westphalie), il faut l’avoir entendu présenter chaque année le Prix du livre européen. Martin Schulz est homme de mots et d’émotions. Social-démocrate dans l’âme, il aime parler de l’Etat providence, de la «protection» que doit apporter l’Europe à ses concitoyens, et des indispensables régulations économiques mondiales.
En coulisses? Un tempérament organisateur et offensif. Un don pour les attaques au vitriol aussi, dont la Suisse a parfois fait les frais sur le secret bancaire. Mais peu de grandes envolées populaires. Et guère de savoir-faire électoral national. «Martin Schulz a toujours été élu (de 1994 à 2014) sans avoir besoin de se faire vraiment connaître dans son pays», confirme un collaborateur de son successeur au perchoir de Strasbourg, l’Italien Antonio Tajani. Spécialité, en revanche, de l’adversaire présumé malheureux d’Angela Merkel: les arrangements de coalition. «Il a passé toute sa carrière à forger des compromis avec le PPE (droite) au Parlement européen. Il sait très bien faire ça», poursuit Alain Lamassoure.
Bilan introuvable
Le miroir de Bruxelles est éloquent. Face à l’expérience d’Angela Merkel, présentée partout comme la patronne des Etats membres, Martin Schulz l’Européen devait briser la glace, casser l’image, dénoncer l’attentisme de la chancelière face aux défis d’avenir du continent. Problème: quel bilan faire valoir? Quelle cartouche tirer pour abattre ce colosse politique qu’est devenue «Mutti»? Comment positionner la social-démocratie, surtout, après deux grandes coalitions et alors que la gauche radicale incarnée par Die Linke incarne un projet politique qui n’a pas ses faveurs?
«Le drame de Schulz est d’être, par son parcours, taillé pour une future coalition. Toute sa carrière au Parlement européen y a été consacrée. Difficile de gagner quand on est programmé pour négocier», remarque, ironique, son ex-collègue Elmar Brok, eurodéputé conservateur allemand.
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