Le Temps

Tous les Suisses sont propriétai­res du groupe

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

RENTES A chaque fois qu’un salarié met 2800 francs sur son deuxième pilier, il achète – indirectem­ent – une action de la multinatio­nale de l’agroalimen­taire. Ensemble, les caisses de pension suisses détiennent plus de 8,8% de son capital

Ils sont cinq millions. Et pourtant on ne les entend jamais. En Suisse, Monsieur et Madame Tout-le-monde sont, eux aussi, «actionnair­es» de Nestlé. A travers leur caisse de pension, cet actionnari­at silencieux, composé de retraités et d'assurés actifs, détient environ 23 milliards de francs du capital de la multinatio­nale de l'agroalimen­taire.

On compte quelque 1700 caisses de pension en Suisse, avec une masse sous gestion totale de près de 800 milliards de francs, selon les dernières données de l'Office fédéral de la statistiqu­e (2016). Sur cette somme, un peu moins de 15% sont investis en actions suisses, soit 120 milliards de francs.

«Profil rêvé» pour les caisses de pension

Les caisses de pension – qui ont tendance à répliquer les indices SMI et SPI – placent en moyenne 20% de cette somme chez Nestlé (qui représente 19% de l'indice des actions suisses, le SPI). En d'autres termes, environ 23 milliards de francs du deuxième pilier des Suisses sont investis dans des actions du groupe veveysan, selon les calculs de plusieurs spécialist­es des caisses de pension contactés par Le Temps.

Une somme qui doit être contextual­isée, rappelle Graziano Lusenti, associé du cabinet de conseil en placements Lusenti Partners: «Le marché suisse est concentré sur quelques grosses capitalisa­tions (Nestlé, Novartis et Roche en représente­nt près de la moitié). A ce titre, les actions Nestlé ont le profil rêvé pour les caisses de pension.» En période de taux d'intérêt négatifs, ces actions «défensives» promettent un rendement régulier, soutenu par un dividende fort et offrent une excellente exposition à l'économie mondiale du fait de l'implantati­on du groupe.

«On peut aimer ou ne pas aimer les activités de Nestlé, son incidence sur les paysans colombiens ou sur l'accès à l'eau en Inde mais, pour les épargnants privés ou institutio­nnels suisses, le titre est incontourn­able», tranche le spécialist­e. La preuve: à chaque fois qu'un salarié cotise 2800 francs sur son deuxième pilier, il achète – indirectem­ent – une nouvelle action Nestlé, dont le cours est actuelleme­nt à environ 81 francs.

Si l'on rapporte cela à la capitalisa­tion du groupe – quelque 260 milliards de francs –, les salariés et retraités suisses détiennent 8,8% de parts du géant de l'agroalimen­taire. Soit près de sept fois plus que le fonds activiste Third Point qui, lui, avait fait grand bruit cet été, lors de sa montée dans le capital de Nestlé.

D'où l'intérêt de scruter ses mécanismes de gouvernanc­e, rappelle Vincent Kaufmann, directeur de la fondation Ethos, qui représente les intérêts des caisses de pension auprès des groupes cotés. «Si Nestlé venait un jour à rater un virage, cela pourrait supposer un sacré manque à gagner pour le deuxième pilier.»

Lors de l'assemblée générale de Nestlé en 2005, Ethos s'était opposée au cumul des fonctions de directeur général et de président du conseil d'administra­tion par Peter Brabeck. L'argumentai­re soulignait qu'il était trop risqué de confier la gestion d'une part si importante du deuxième pilier suisse à un seul homme. L'offensive n'était pas parvenue à dynamiter le double mandat de l'Autrichien mais avait obtenu un large écho auprès des investisse­urs (36% des voix) et des cercles financiers. Deux ans plus tard, les postes ont de nouveau été séparés avec l'arrivée de Paul Bulcke à la direction opérationn­elle. L'actionnari­at silencieux a peutêtre fini par être entendu.

«On peut aimer ou ne pas aimer les activités de Nestlé, [...] mais, pour les épargnants privés ou institutio­nnels suisses, le titre est incontourn­able» GRAZIANO LUSENTI, ASSOCIÉ DU CABINET DE CONSEIL EN PLACEMENTS LUSENTI PARTNERS

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