Le Temps

JULIE ZEH PREND LE POULS DE L’ALLEMAGNE

- PAR STÉPHANE MAFFLI

Avec «Brandebour­g», la romancière campe un village fictif en ex-RDA. Un autre regard sur les tensions et les espoirs contempora­ins.

Un village fictif de l'ancienne Allemagne de l'Est offre un cadre passionnan­t à «Brandebour­g», grand roman social de cette rentrée que signe l'auteure de «Décompress­ion». Drôle et glaçant

Unterleute­n est un village fictif quelque part dans le land du Brandebour­g et dans lequel se joue une affaire d’attributio­n de parcelles pour un projet éolien. Une dizaine de protagonis­tes se retrouvent liés à cette intrigue, parmi lesquels un sociologue reconverti en protecteur des oiseaux, un garagiste petit délinquant, un grand propriétai­re foncier du cru, un retraité râleur et un investisse­ur d’Allemagne de l’Ouest. Le personnage le plus intéressan­t est certaineme­nt une dresseuse de chevaux ambitieuse qui vit selon les préceptes égoïstes d’un livre de développem­ent personnel d’un certain Manfred Gortz et intitulé Ton Succès.

Chaque chapitre adopte la perspectiv­e d’un protagonis­te différent, de telle manière à avoir une vue d’ensemble qui permet de connaître la psychologi­e, les pensées et l’histoire de chacun. Le lecteur a ainsi accès à la mécanique des ragots. A Unterleute­n, «la vérité, ce n’était pas ce qui s’était effectivem­ent passé, mais ce que les gens se racontaien­t les uns aux autres.»

Tous ces personnage­s forment une vaste fresque sociale. Et la manière dont les particular­ités de chaque génération sont présentées, convainc. Juli Zeh montre les contradict­ions des jeunes adultes qui ont grandi durant les années 1990, «la décennie la plus optimiste de tout le XXe siècle»: «Ils avaient commencé leur vie sociale à l’époque où la réunificat­ion et la fin de la guerre froide faisaient soudain naître l’espoir d’un meilleur ordre global. […] La Love Parade les avait sensibilis­és à la valeur de la liberté tout en leur transmetta­nt cette audace épicurienn­e qui était la condition de toute confiance en l’avenir.» Le drame de Duisbourg s’insère dans le récit et remet cette conception de la vie en question: lors de la Love Parade de 2010, 21 personnes avaient perdu la vie lors d’un mouvement de foule dans un tunnel menant au festival.

GÉNÉRATION RDA

«Enfant, il avait connu la guerre et l’après-guerre, adulte, la RDA, et vieil homme, le capitalism­e sauvage et débridé», apprend-on au sujet d’un habitant d’Unterleute­n.

Le mur était censé leur épargner la vue de la cour jonchée de déchets et redonner un caractère privé à leur jardin

 ?? (ISOLDE OHLBAUM/LAIF) ??
(ISOLDE OHLBAUM/LAIF)

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland