Le Temps

La Pinte des Mossettes

- PAR ÉDOUARD AMOIEL @EAmoiel

Restaurant perché au milieu de la campagne gruérienne, La Pinte des Mossettes, et son chef Romain Paillereau, propose une cuisine aussi instinctiv­e qu’incisive

◗ Comment se porte Romain Paillereau depuis l’obtention de son étoile au Guide

Michelin et du titre très convoité de «Révélation suisse romande 2017» décerné par le Guide GaultMilla­u? Muni de son perpétuel sourire juvénile dissimulé derrière une barbe impeccable­ment taillée, il reçoit dans son humble maison de Cerniat, au milieu des pâturages gruériens, avec la même jovialité et une passion intacte. Un sentiment d’innocence plane encore sur cette maison qui respire la simplicité et l’humilité.

Certes, certains pourraient souhaiter quelques améliorati­ons en termes de décoration; un peu moins «auberge» et un peu plus «restaurant». Sauf que ceux-ci n’ont rien compris. C’est là que la pinte provoque l’étonnement le plus total et reste dans son jus le plus pur. Un inimaginab­le décalage entre la tradition fribourgeo­ise d’une salle faite entièremen­t de bois, où le premier réflexe serait de commander une fondue au fromage, et la magie d’une cuisine aussi moderne que gourmande. Quel enchanteme­nt de se voir servir par le jeune maître de salle François Chateau un bonbon d’artichaut à la poudre de sapin, un croustilla­nt de poulet laqué au soja, recouvert de sésame, et enfin une sphère mélisse, yaourt de brebis et son émulsion pomme granny-smith.

Il semblerait que la pression s’arrête au pas de la porte de la Pinte. Le chef périgourdi­n d’adoption n’en subit aucune, tant son approche de la gastronomi­e est décomplexé­e et naturelle. Serait-ce l’altitude? Serait-ce le paysage? Ou tout simplement la plénitude d’un cuisinier discret en pleine ascension qui ne cherche aucunement à en faire trop. Une paix intérieure qui détonne, étonne, en jouant sur les structures, les arômes et les odeurs. Force est de constater que le client doit s’abandonner, se forcer à se laisser porter par l’inventivit­é culinaire du jeune trentenair­e.

Le menu «émotion» est évocateur de sentiments forts en sensations. Romain Paillereau déboussole d’entrée avec un céleri branche en sorbet accompagné d’une poudre et d’une gelée de raifort, d’un condiment cacahuète et d’un sérac (fromage blanc frais) fumé au bois de hêtre. Escorté de pousses de sucrines et de chips de riz, le homard breton est, lui, servi en généreux tronçons, nacré comme il se doit. Sur le côté, une discrète crème au beurre noisette surmontée de pinces et d’une émulsion du crustacé apporte onctuosité et gourmandis­e à cette deuxième entrée aussi délicate qu’engagée.

AU SOMMET DE LA PINTE

L’omble chevalier (du lac Léman) est confit dans l’huile d’olive, cuit à basse températur­e, servi avec des billes de citron caviar et d’un toast tartiné d’une compotée de tomates telle une précieuse confiture. Un délice de notre Arc lémanique ombragé par une présentati­on effrontée, d’un «splash» verdâtre pas forcément très utile (éventuel clin d’oeil au dessert du célébrissi­me Massimo Bottura: «Oups, j’ai laissé tomber la tarte au citron»). La joue de boeuf braisée pendant six heures parachève ce festival salé coiffé d’une tuile aux zestes d’oranges confites, poudre de sauge et marjolaine et un jus de boeuf dense et parfumé au vin rouge.

La gourmandis­e de mirabelle et sa mousse citron-gingembre est un élégant présage à la douceur et l’élégance des pêches pochées dans la lavande. Un dessert délicat qui vient sonner le glas d’un repas épatant. La magie opère plus que jamais à Cerniat, et Romain Paillereau est définitive­ment au sommet de sa pinte.

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(DR) En entrée: céleri branche, raifort et sérac fumé.

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