La Pinte des Mossettes
Restaurant perché au milieu de la campagne gruérienne, La Pinte des Mossettes, et son chef Romain Paillereau, propose une cuisine aussi instinctive qu’incisive
◗ Comment se porte Romain Paillereau depuis l’obtention de son étoile au Guide
Michelin et du titre très convoité de «Révélation suisse romande 2017» décerné par le Guide GaultMillau? Muni de son perpétuel sourire juvénile dissimulé derrière une barbe impeccablement taillée, il reçoit dans son humble maison de Cerniat, au milieu des pâturages gruériens, avec la même jovialité et une passion intacte. Un sentiment d’innocence plane encore sur cette maison qui respire la simplicité et l’humilité.
Certes, certains pourraient souhaiter quelques améliorations en termes de décoration; un peu moins «auberge» et un peu plus «restaurant». Sauf que ceux-ci n’ont rien compris. C’est là que la pinte provoque l’étonnement le plus total et reste dans son jus le plus pur. Un inimaginable décalage entre la tradition fribourgeoise d’une salle faite entièrement de bois, où le premier réflexe serait de commander une fondue au fromage, et la magie d’une cuisine aussi moderne que gourmande. Quel enchantement de se voir servir par le jeune maître de salle François Chateau un bonbon d’artichaut à la poudre de sapin, un croustillant de poulet laqué au soja, recouvert de sésame, et enfin une sphère mélisse, yaourt de brebis et son émulsion pomme granny-smith.
Il semblerait que la pression s’arrête au pas de la porte de la Pinte. Le chef périgourdin d’adoption n’en subit aucune, tant son approche de la gastronomie est décomplexée et naturelle. Serait-ce l’altitude? Serait-ce le paysage? Ou tout simplement la plénitude d’un cuisinier discret en pleine ascension qui ne cherche aucunement à en faire trop. Une paix intérieure qui détonne, étonne, en jouant sur les structures, les arômes et les odeurs. Force est de constater que le client doit s’abandonner, se forcer à se laisser porter par l’inventivité culinaire du jeune trentenaire.
Le menu «émotion» est évocateur de sentiments forts en sensations. Romain Paillereau déboussole d’entrée avec un céleri branche en sorbet accompagné d’une poudre et d’une gelée de raifort, d’un condiment cacahuète et d’un sérac (fromage blanc frais) fumé au bois de hêtre. Escorté de pousses de sucrines et de chips de riz, le homard breton est, lui, servi en généreux tronçons, nacré comme il se doit. Sur le côté, une discrète crème au beurre noisette surmontée de pinces et d’une émulsion du crustacé apporte onctuosité et gourmandise à cette deuxième entrée aussi délicate qu’engagée.
AU SOMMET DE LA PINTE
L’omble chevalier (du lac Léman) est confit dans l’huile d’olive, cuit à basse température, servi avec des billes de citron caviar et d’un toast tartiné d’une compotée de tomates telle une précieuse confiture. Un délice de notre Arc lémanique ombragé par une présentation effrontée, d’un «splash» verdâtre pas forcément très utile (éventuel clin d’oeil au dessert du célébrissime Massimo Bottura: «Oups, j’ai laissé tomber la tarte au citron»). La joue de boeuf braisée pendant six heures parachève ce festival salé coiffé d’une tuile aux zestes d’oranges confites, poudre de sauge et marjolaine et un jus de boeuf dense et parfumé au vin rouge.
La gourmandise de mirabelle et sa mousse citron-gingembre est un élégant présage à la douceur et l’élégance des pêches pochées dans la lavande. Un dessert délicat qui vient sonner le glas d’un repas épatant. La magie opère plus que jamais à Cerniat, et Romain Paillereau est définitivement au sommet de sa pinte.