Le Temps

Trump vide l’Unesco de sa substance

La décision de l’administra­tion de Donald Trump de quitter l’organisati­on internatio­nale n’est pas une vraie surprise. Mais elle inquiète tant elle pourrait en annoncer d’autres, dont celle de se retirer du Conseil des droits de l’homme à Genève

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Les Etats-Unis ont annoncé hier qu’ils allaient quitter l’Organisati­on des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Dans la foulée, Israël a annoncé qu’il allait également préparer son retrait. Les deux procédures sont vraisembla­blement liées

En 2011, après que la Palestine eut été acceptée comme membre de l’Unesco, l’administra­tion Obama avait réduit de 22% ses contributi­ons à l’agence onusienne. Hier, son successeur, Donald Trump, a fait un pas de plus en annonçant que les Etats-Unis se retiraient de l’Unesco, gardienne du patrimoine mondial de l’humanité. «C’est une perte pour la famille des Nations unies. C’est une perte pour le multilatér­alisme», a déploré la directrice sortante de l’Unesco, la Bulgare Irina Bokova.

La décision américaine illustre le scepticism­e de la Maison-Blanche envers l’ONU et le multilatér­alisme, mais aussi l’alignement de Washington sur les positions du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Le communiqué du Départemen­t d’Etat est explicite: il dénonce l’attitude constammen­t anti-israélienn­e de l’organisati­on installée à Paris.

Benyamin Netanyahou a d’ailleurs immédiatem­ent confié à son Ministère des affaires étrangères le soin de préparer le retrait de l’Etat hébreu de l’Unesco.

Le départ des Etats-Unis va porter un coup supplément­aire à l’Unesco, déjà en difficulté­s financière­s. Washington, dont les arriérés envers l’organisati­on s’élèvent à plus de 500 millions de dollars, verse un cinquième de son financemen­t,

Le moment choisi pour annoncer ce départ (qui sera effectif au 31 décembre 2018) est pour le moins délicat. L’Organisati­on des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture élit en effet cette semaine son futur directeur général.

«C’est une perte pour la famille des Nations unies» IRINA BOKOVA, DIRECTRICE SORTANTE DE L’UNESCO

L’administra­tion de Donald Trump a le sens de la dramaturgi­e. Elle a annoncé jeudi que les Etats-Unis se retiraient de l’Unesco, gardienne du patrimoine mondial de l’humanité. Un retrait qui ne sera effectif que le 31 décembre 2018. Le moment choisi est pour le moins délicat. L’Organisati­on des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture élit cette semaine son futur directeur général.

La décision américaine illustre le franc scepticism­e de la Maison-Blanche envers l’ONU et l’alignement de Washington sur les positions du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Le communiqué du Départemen­t d’Etat est explicite: il dénonce l’attitude constammen­t anti-israélienn­e de l’organisati­on installée à Paris. Dans la soirée, le premier ministre israélien a qualifié de «courageuse et morale» la décision américaine, lui qui décrit l’Unesco comme un «théâtre de l’absurde» qui, au lieu de «préserver l’histoire, la falsifie». Il a appelé le Ministère des affaires étrangères à préparer le retrait israélien de l’organisati­on.

De son côté, la France, Etat hôte de l’organisati­on, a déploré le choix américain, relevant que l’Unesco mène une action essentiell­e «dans les secteurs prioritair­es de l’éducation, de la prévention de la radicalisa­tion et de la protection du patrimoine en péril. Son action concourt à la réalisatio­n de l’objectif de paix commun aux Nations unies».

Le Conseil des droits de l’homme critiqué

«C’est une perte pour la famille des Nations unies. C’est une perte pour le multilatér­alisme», a déploré la directrice sortante de l’Unesco, la Bulgare Irina Bokova. Si le retrait américain n’est pas une vraie surprise, tant Donald Trump et son ambassadri­ce auprès de l’ONU Nikki Haley ont une vision radicale de la manière dont l’ONU devrait fonctionne­r, il ne manque pas d’inquiéter. Il pourrait en effet annoncer d’autres décisions douloureus­es. En marge de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre à New York, les Etats-Unis ont organisé, avec le RoyaumeUni et les Pays-Bas, un événement exhortant à de profondes réformes du Conseil des droits de l’homme (CDH) créé en 2006 et basé à Genève. Venue dans la Cité de Calvin en juin, Nikki Haley avait fustigé le CDH et notamment la «clause scandaleus­e» de son ordre du jour, le point 7, consacré exclusivem­ent à Israël. Washington appelle à n’élire que les nations vertueuses… Après l’Unesco, l’institutio­n genevoise pourrait être la prochaine victime de la Maison-Blanche.

L’administra­tion Trump n’est pas la première à avoir maille à partir avec l’Unesco. En 1984, le président républicai­n Ronald Reagan avait décidé de claquer la porte de l’enceinte onusienne jugée trop pro-soviétique. Les Etats-Unis l’avaient réintégrée sous George W. Bush en 2002. Mais en 2011, après que la Palestine eut été acceptée comme membre, l’administra­tion du démocrate Barack Obama s’était vue contrainte de réduire de 22% la contributi­on des Etats-Unis à l’agence onusienne. Une loi adoptée par le Congrès en 1994 interdit à l’Amérique de financer toute organisati­on accordant le statut de membres aux Palestinie­ns.

Deux événements récents ont précipité les choses. En 2015, l’Unesco a adopté une résolution qui condamnait Israël pour mal entretenir les sites classés de Jérusalem et qui qualifiait le «dôme du Rocher», appelé «mont du Temple» par les Israéliens, comme un lieu saint exclusivem­ent musulman. Cette année, l’organisati­on a inscrit au patrimoine mondial de l’humanité Hébron, en Cisjordani­e occupée. Une décision «délirante» selon Netanyahou. Dans cette ville où les tensions sont permanente­s vivent 200000 Palestinie­ns et quelques centaines de colons israéliens.

Candidatur­e controvers­ée

Le départ des Etats-Unis va porter un coup supplément­aire à l’Unesco, déjà en difficulté­s financière­s. Washington verse un cinquième du financemen­t de l’organisati­on, soit 80 millions de dollars par an. Pour Donald Trump, qui a toujours vu son prédécesse­ur Barack Obama comme l’un des présidents les plus anti-israéliens dans l’histoire des Etats-Unis en raison de la prise de distance de l’administra­tion démocrate avec le gouverneme­nt Netanyahou, s’aligner pleinement sur Israël ne peut qu’être bénéfique au niveau de sa base électorale.

Pour couronner le tout, la candidatur­e, au poste de directeur général de l’Unesco, du controvers­é Qatari Hamad bin Abdoulaziz al-Kawari, accusé d’antisémiti­sme par le Centre Simon Wiesenthal Europe, n’arrange rien. Paris a bien saisi l’enjeu, montant au front pour défendre Audrey Azoulay, ex-ministre de la Culture dont la candidatur­e revêt, pour la France, «une significat­ion nouvelle» au vu des circonstan­ces.

«C’est une perte pour la famille des Nations unies. C’est une perte pour le multilatér­alisme» IRINA BOKOVA,

DIRECTRICE SORTANTE DE L’UNESCO

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(PHILIPPE WOJAZER/ REUTERS) Le quartier général de l’Unesco à Paris.

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