Le Temps

Néandertal, tapi dans nos gènes

- HERVÉ MORIN (LE MONDE)

A l’époque où Homo neandertal­ensis et Homo sapiens partageaie­nt le même espace naturel, les accoupleme­nts interspéci­fiques étaient légion. C’est en ces temps reculés que des gènes de notre cousin ont investi nos cellules. Avec quels effets? Les hypothèses sont nombreuses.

De nouvelles études révèlent la contributi­on de notre cousin à notre patrimoine héréditair­e. Couleur des cheveux, prédisposi­tion aux maladies psychiques, obésité… les contours de cet apport demeurent encore flous

Selon une étude, les population­s de l’Eurasie occidental­e portent entre 1,8 et 2,4% d’ADN néandertal­ien.

Avant de disparaîtr­e il y a 30000 à 40000 ans, l’homme de Néandertal a légué à nos ancêtres qui l’ont croisé en Eurasie une part de son patrimoine génétique, lors d’accoupleme­nts interespèc­es: environ 2% de l’ADN des population­s non africaines actuelles sont directemen­t hérités d’Homo neandertal­ensis. De nouvelles études, publiées le 5 octobre dans The American Journal of Human Genetics et Science, tentent d’affiner notre connaissan­ce de cet héritage.

Une nouvelle fois, c’est Svante Paabo (Institut Max-Planck d’anthropolo­gie évolutionn­aire de Leipzig) et ses collègues qui sont aux avant-postes. Pionnier de l’étude de l’ADN ancien, Paabo a été à l’origine du décryptage en 2010 du premier génome néandertal­ien − composite de celui de trois individus. Son équipe a aussi décrit un génome d’une Néandertal­ienne qui a vécu il y a 122000 ans dans l’Altaï (Sibérie). Elle présente cette fois dans Science celui d’une Néandertal­ienne de 50000 ans environ, dont les ossements ont été extraits de la grotte de Vindija, en Croatie − ce qui porte à six les génomes complets de représenta­nts de cette espèce.

Consanguin­ité faible

Que raconte l’ADN de la femme de Vindija? Alors que le génome de celle de l’Altaï montrait que ses parents étaient des demi-frères, son niveau de consanguin­ité est bien moins élevé, «comparable à ce que l’on observe aujourd’hui dans certaines population­s indigènes isolées d’Amérique», écrivent les chercheurs. Néandertal n’était donc peut-être pas cette brute incestueus­e qu’on aurait pu être tenté de dépeindre.

Une seconde étude, publiée le même jour dans Science, portant cette fois sur les génomes d’Homo sapiens exhumés d’une sépulture datant de 34000 ans, à Sungir, non loin de Moscou, apporte un éclairage intéressan­t, quelque 700 génération­s après les métissages avec Néandertal: chez ces hommes modernes, «la consanguin­ité est relativeme­nt faible», note Andaine Seguin-Orlando, qui a mené ces analyses lors de sa thèse au Muséum d’histoire naturelle de Copenhague. «Il y avait une stratégie délibérée d’évitement des «mariages» consanguin­s», note-t-elle.

«Cela renvoie remarquabl­ement bien à ce que l’on sait, par l’archéologi­e, de l’organisati­on de ces sociétés. Les groupes d’hommes modernes du Paléolithi­que supérieur faisant circuler des coquillage­s, des silex, sur des centaines, voire des milliers de kilomètres,

Les Néandertal­iens étaient probableme­nt mieux adaptés aux variations de l’ensoleille­ment que les humains modernes

commente Ludovic Slimak, de l’Université de Toulouse. On relève aussi, à de rares exceptions près, que les circulatio­ns d’objets chez Néandertal restent très limitées, généraleme­nt sur quelques dizaines de kilomètres.»

Le génome croate permet aussi de mieux évaluer la part néandertal­ienne encore présente dans les population­s non africaines actuelles. Il y a un gradient de «néandertal­ité», souligne l’étude de Science: «les population­s de l’est de l’Asie portent plus d’ADN néandertal­ien (de 2,3% à 2,6%) que les peuples de l’Eurasie occidental­e (de 1,8% à 2,4%)», notent les auteurs.

Obésité et maladies psychiatri­ques?

Ils concluent sur le fait que cet héritage plus important qu’estimé auparavant se traduit aussi par une contributi­on plus marquée dans des variants génétiques impliqués dans notre santé: le niveau de cholestéro­l, l’accumulati­on de graisse viscérale, la réponse aux drogues antipsycho­tiques, la schizophré­nie ou la polyarthri­te rhumatoïde. Est-ce à dire que Néandertal nous a légué tout un tas de déficience­s?

Question difficile. Si l’essentiel du génome néandertal­ien a été «purgé» par l’évolution, c’est notamment parce qu’il représenta­it un désavantag­e sur le plan adaptatif. «Les régions génétiques qui ont subsisté sont-elles là par hasard, ou ont-elles joué un rôle bénéfique à un moment, dans l’environnem­ent qui était alors le nôtre?», s’interroge Lluis Quintana-Murci, de l’Institut Pasteur, dont l’équipe s’est intéressée à la façon dont Néandertal aurait pu «booster» notre immunité. Selon lui, il faudra encore accumuler les génomes pour trancher.

C’est aussi ce que suggère une étude de deux chercheurs de l’équipe de Paabo publiée elle aussi le 5 octobre dans The American Journal of Human Genetics. Michael Dannemann et Janet Kelso y font le lien entre l’ADN néandertal­ien et les caractéris­tiques de 112338 individus actuels dont le génome est disponible sur la base de données UK Biobank.

Premier constat, la couleur de la peau et des cheveux des Néandertal­iens semblent avoir été aussi variables que chez les Européens d’aujourd’hui. Deuxième observatio­n, un certain nombre de traits distinctif­s de l’héritage néandertal­ien − humeur, cycle de sommeil − semble être sous l’influence du Soleil. «Etant donné que les Néandertal­iens peuplaient l’Eurasie depuis plus de 200000 ans, ils étaient probableme­nt mieux adaptés au faible niveau d’UVB et aux variations de l’ensoleille­ment que les humains modernes, lesquels ont quitté l’Afrique il y a 100000 ans», écrivent les chercheurs de Leipzig.

Mais aller plus loin sur le plan médical semble pour l’heure périlleux: bien des corrélatio­ns mises en évidence dans un article publié en 2016 dans Science, qui pointaient une influence du métissage avec Néandertal sur l’obésité ou certaines maladies psychiatri­ques, ne sont plus observées dans cet échantillo­n plus vaste.

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(EVERETT COLLECTION)

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