Irène Kälin, Verte polarisée
La Verte argovienne fait une entrée remarquée au Conseil national. Rencontre avec une jeune politicienne déterminée à affronter l’UDC sur le thème de l’islam
L’Argovienne Irène Kälin remplacera au National son collègue de parti Jonas Fricker, qui a démissionné à la suite de ses propos sur l’Holocauste. Elle lutte contre le nucléaire, pour la mobilité douce, et porte un discours sur les modalités de reconnaissance de l’islam en Suisse qui lui vaut de sévères inimitiés.
Certains quittent le parlement incognito après des années passées dans l’ombre. Irène Kälin, elle, n’a pas encore fait son entrée au Conseil national qu’elle fait déjà parler d’elle. Son profil politique atypique et le contexte tumultueux de son arrivée au parlement – après la démission de son collègue de parti Jonas Fricker, qui a comparé le transport des animaux vers l’abattoir à l’Holocauste – ne sont pas pour rien dans cette soudaine popularité.
Formation d’imams
Islamologue, l’Argovienne de 30 ans milite pour que l’Etat forme des imams et accorde un statut de droit public aux communautés musulmanes. Ces positions lui ont déjà valu des insultes et des ennemis politiques, au premier rang desquels le député argovien UDC Andreas Glarner: «Irène Kälin représente la gauche hardcore. Je ne lui ferai aucun cadeau. L’islam ne fait pas partie de la Suisse, c’est au mieux une religion étrangère que l’on tolère», assène le député argovien UDC au Conseil national. Mais la jeune femme, qui siège depuis sept ans dans un parlement cantonal dominé par le camp bourgeois, s’est déjà frottée à l’adversité et ne compte pas se laisser désarçonner. «Les forces progressistes ont trop longtemps laissé ce thème à l’UDC, qui en fait un sujet d’exclusion», dit-elle.
Pour les élections fédérales en 2015, les Verts argoviens l’avaient placée en tête de liste. Son collègue Jonas Fricker, président du parti, la devance de 2500 voix. «J’imaginais qu’il ferait deux à trois législatures, dit-elle, je ne pensais déjà plus au Conseil national.» L’étudiante en master s’apprêtait à passer l’hiver à la bibliothèque de l’Université de Berne pour bûcher sur son mémoire, sur la reconnaissance étatique des communautés musulmanes. Mais avec l’affaire Fricker, tout s’accélère. En tant que vient-ensuite, elle devrait le remplacer dès la prochaine session parlementaire, en novembre.
Un financement étatique des mosquées
Voilà qu’elle doit quitter les bancs de l’université pour défendre sa thèse devant un grand public. Irène Kälin estime qu’un statut officiel, assorti de conditions, apporterait davantage de transparence et de coopération entre l’Etat et les communautés musulmanes. Mais elle va plus loin, quitte à fâcher les tenants d’une stricte séparation entre politique et religion, jusque dans son propre camp: «L’Etat devrait soutenir aussi financièrement les communautés musulmanes, tout comme on finance les Eglises établies, pour leur permettre de fonctionner de manière professionnelle. On éviterait ainsi des fonds versés à certaines mosquées, en provenance de pays qui ne partagent pas nos valeurs.» N’est-ce pas contraire au principe de la laïcité? «Après la guerre du Sonderbund, la Suisse a misé sur la coopération et non sur la séparation absolue entre Etat et Eglise, contrairement à la laïcité à la française. Ce modèle nous a permis de garantir la paix religieuse et d’intégrer des minorités religieuses, comme la communauté juive, avec succès.»
Antinucléaire
A ceux qui lui reprochent de ne pas être assez verte, elle brandit son engagement contre le nucléaire, dans la ligne de ses parents, tous deux architectes et militants anti-atome, dans ce canton le plus nucléarisé de Suisse. Ses débuts en politique relèvent aussi d’un concours de circonstances. Elle rejoint le parti à 20 ans, puis fait son entrée au parlement cantonal en 2010, pour remplacer une élue partie en congé maternité, avant de devenir présidente de groupe.
En Argovie, elle se fait remarquer en 2015 avec des affiches électorales sur lesquelles elle pose en bodybuildeuse, regard de fer et bras arqués pour montrer ses muscles. Une manière de se jouer des attaques? L’Argovienne a pour compagnon le journaliste Werner De Schepper, corédacteur en chef de la Schweizer Illustrierte, et ancien rédacteur en chef du Blick. Ses détracteurs prétendent que la jeune femme utilise ses contacts privilégiés dans les médias au profit de sa carrière politique. «Mon compagnon n’a pas l’influence qu’on lui prête, rétorque Irène Kälin. Ce n’est pas à lui que je dois mon ascension politique. J’étais connue avant qu’on ne se rencontre.» La politicienne n’en a pas moins dû tracer des limites entre sa vie publique et sa vie privée. Lors de sa campagne en 2015, le soutien de Werner De Schepper sur les réseaux sociaux lui valait déjà des critiques. «Je lui ai interdit de me retwitter!» dit-elle en riant. Elle, la timide, a été séduite par l’aisance et la curiosité du journaliste. «On parle politique, et on se bagarre souvent. Il est catholique – moi, je suis agnostique. Et je n’ai jamais compris son amour pour les sujets tapageurs.» ▅
«Les forces progressistes ont trop longtemps laissé ce thème à l’UDC, qui en fait un sujet d’exclusion»
IRÈNE KÄLIN, DÉPUTÉE ARGOVIENNE (VERTS)