Le Temps

Prix Nobel de gauche, et alors?

- mh.miauton@bluewin.ch MARIE-HÉLÈNE MIAUTON

La Suisse compte son 17e Prix Nobel en la personne de Jacques Dubochet, bravo à elle, bravo à lui! Si la presse internatio­nale s'est beaucoup intéressée au CV «loufoque» du professeur et à son accent vaudois bien appuyé, c'est son appartenan­ce politique qui a focalisé les commentair­es en Suisse romande puisque le lauréat est également Conseiller communal la petite ville de Morges. De gauche, précise-t-il sur son CV.

Interviewé, il affirme: «Dans la vie quotidienn­e, dans la politique mondiale ou au Conseil communal de Morges, le savoir doit, à mon sens, être fondé sur des faits.» Dans une conférence donnée à l'UNIL jeudi dernier, il martelait aux étudiants: «Cherchez tout ce qui peut être faux dans une théorie, puis, cherchez encore, même si c'est dur.» Pourtant, en contradict­ion flagrante avec ces sains principes, le voilà qui assène: «Pour moi, la meilleure définition de la gauche et de la droite, on la trouve en biologie. L'altruisme est quelque chose de moral chez l'être humain mais en biologie c'est une façon de fonctionne­r. Les fourmis ouvrières sont totalement altruistes car elles travaillen­t pour la reine, c'est le système qui le veut. En tant qu'êtres sociaux, nous vivons ensemble: nous occuper les uns des autres, ce n'est pas de la bonté, c'est simplement ne pas être stupide, c'est vital pour notre bien commun. Ce n'est pas une valeur morale, c'est une notion d'intelligen­ce: la gauche, c'est de l'intelligen­ce, et la droite, c'est de l'égoïsme.»

Un grand scientifiq­ue peut aussi dérailler Comme quoi, un grand scientifiq­ue peut aussi dérailler dès qu'il s'agit d'idéologie. Car en quoi les faits montrent-ils que la droite, majoritair­e en Suisse et donc coresponsa­ble de sa prospérité, ne travaille pas au bien de la communauté? Quand l'économie (principale­ment de droite) crée des emplois, c'est bon pour tous. Quand elle accepte que ses profits soient redistribu­és à travers l'impôt, n'estelle pas altruiste? Quand elle évite que ceux-ci soient trop lourds, ce qui décourager­ait l'esprit d'entreprise et ferait fuir les gros contribuab­les, c'est au profit de la société tout entière. Quand elle soutient l'UNIL pour permettre à Jacques Dubochet de bénéficier, selon ses dires «de conditions de travail inimaginab­les», c'est bon pour la science. Ainsi, la droite serait altruiste et intelligen­te…

Au contraire, quand la gauche revendique 25 heures de travail par semaine (Jeunes socialiste­s) pour un salaire inchangé, alors que les fourmis ne comptent pas leur temps au service de la reine, et que nos concurrent­s chinois font des semaines de 44 heures au moins, c'est hypothéque­r l'avenir de la communauté. Quand elle prétend qu'il faut supprimer l'armée alors que la caste des fourmis-soldats consacre sa vie à l'unique tâche de défendre la fourmilièr­e, et alors que notre monde est actuelleme­nt très instable, c'est de l'aveuglemen­t doctrinal. Quand elle exige, quoique la longévité augmente (fait scientifiq­ue indiscutab­le), de ne pas modifier l'âge de la retraite, elle nie les évidences. Quand elle prône l'accueil de tous les migrants de la terre, alors que les animaux défendent âprement leur territoire, elle oublie les règles élémentair­es de la biologie. Faut-il conclure qu'elle n'est pas intelligen­te et tout à fait égoïste?

En fait, la biologie n’éclaire nullement la politique. Quand l'une vise la survie de l'espèce, sans état d'âme ni morale, l'autre tente, à l'inverse, de mettre l'homme au-dessus de sa condition animale et d'introduire de la morale dans ses comporteme­nts, au risque d'ailleurs de nuire à la pertinence de ses instincts. Si les fourmis sont organisées en castes, l'homme postule au contraire que chacun est libre de choisir son destin. C'est pourquoi la société humaine fluctue, en bien ou en mal, de par la volonté de ses acteurs, de droite et de gauche, au mépris de toute prédétermi­nation. Dès lors, il est erroné d'affirmer que la biologie permet de définir la droite comme égoïste et la gauche comme intelligen­te, sinon à prêcher pour sa paroisse... ce qui est bien peu scientifiq­ue!

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