Le Temps

«Mourir? Je n’en ai pas du tout envie»

A 51 ans, le célèbre aventurier ne cesse de poursuivre ses exploratio­ns. Pole2Pole, son expédition actuelle, l’a mené en Antarctiqu­e. Il a désormais mis le cap vers le nord. Avec une escale, à Lausanne

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE CHRISTINAZ @Caroline_tinaz

De passage à Lausanne avant qu’il ne mette le cap sur l’Arctique, Mike Horn s’est confié au Temps. L’aventurier détaille les ressorts psychiques qui, à 51 ans, l e poussent à se lancer dans des expédition­s toujours plus folles: «Il est impossible de se sentir vivant sans vivre près de la mort. Mais je sais que celui qui joue avec le feu a plus de risques de se brûler.»

C’est comme s’il s’était mis en tête d’épuiser la terre pour qu’elle lui délivre ses moindres secrets. Et il s’y confronte. Le métier de Mike Horn consiste à descendre l’Amazone à la nage, faire le tour du monde sur l’équateur, traverser le Pôle Nord de nuit, gravir des 8000 mètres. Et faire tout cela dans un style spontané qui lui appartient. Cette année, dans le cadre de son expédition Pole2Pole, il a passé cinquante-sept jours à traverser l’Antarctiqu­e en solitaire. A peine arrivé, il a poursuivi ses pérégrinat­ions. Il était en Nouvelle-Calédonie, il ira au Groenland. Aventurier insatiable, il apparaît aussi sur les petits écrans en tant qu’animateur. Certains aiment, d’autres sont déçus. En escale à Lausanne, Mike Horn a accepté de se livrer au Temps. Avant de repartir.

Chez le dentiste ou chez le médecin vous écrivez quoi à côté de la case Profession? Explorateu­r (il rit). Mais j’ai presque honte. Les gens pensent qu’on se moque d’eux. Le terme athlète passerait mieux car il implique une activité physique. Par contre, quand on est aventurier, le prix n’est pas une coupe ou de l’argent. C’est le fait d’être en vie. On ne gagne rien. Strictemen­t rien. Si ce n’est contribuer à écrire l’histoire.

Que pensez-vous avoir déjà laissé comme trace dans l’histoire? Peutêtre l’image d’une personne qui a réalisé ses rêves. Mon père me disait toujours: «Si tes rêves ne te font pas peur, c’est qu’ils ne sont pas assez grands.»

Donc ça vous arrive d’avoir peur? Parfois, les choses que j’ai encore envie de faire me font peur.

Seriez-vous prêt à réitérer vos aventures? Je ne sais pas… Chaque fois que je pars en expédition, je suis certain qu’elles sont réalisable­s. Mais lors de chacune d’entre elles, en arrivant à la fin, je réalise qu’il y a eu tellement de choses qui ont joué en ma faveur que je n’imagine pas qu’une deuxième chance puisse être possible.

Ces aventures vous auraient-elles rendu plus sage? Peut-être, oui.

Mike Horn qui devient sage… Ce n’est pas le début de la fin? (Il sourit et hésite). Ce serait un beau début de la fin, non? Une chose est sûre: jamais je ne perdrai mon côté sauvage et spontané. Il est profondéme­nt inscrit en moi. C’est mon moteur. Dès qu’une idée apparaît dans mon esprit, l’impossible n’existe plus.

Vous n’avez pas de limites? Si! Mais elles me servent plus de guide que de barrière. Une vie, c’est 30 000 jours. Ce n’est pas beaucoup! J’ai perdu mon père quand j’avais 18 ans. Lui me disait toujours: «Mike, la vie est courte, il faut en profiter.» J’ai la chance de pouvoir vivre ces 30 000 jours avec intensité donc j’en profite le plus possible pour aller toujours plus loin.

A la longue, vous ne vous sentez pas emprisonné par cette nécessité de vivre une vie intensémen­t? Non, je me sens libre. La liberté est donnée à ceux qui savent qu’en faire. Je veux surpasser les obstacles et c’est ce qui me donne l’impression d’être vivant. Ça énerve beaucoup de gens parce que je prends des risques et que je joue avec une vie que je devrais respecter. Mais à mes yeux, je la respecte et la vis à ma manière. Avec mes besoins d’avoir peur, d’être excité.

Qui est l’aventurier que vous estimez? J’admire beaucoup Roald Amundsen, le premier homme à être arrivé au Pôle Sud [en 1911, ndlr], le premier à avoir traversé l e passage du NordOuest. Il était déterminé, sauvage.

Ce sont les caractéris­tiques nécessaire­s pour être un aventurier? Pour moi, un aventurier est avant tout quelqu’un qui a des rêves et qui les réalise. Qui ne rechigne pas à sortir de sa zone de confort pour aller à la recherche de ses propres émotions. On peut être aventurier en changeant des petites choses dans sa vie. En ce qui me concerne, le début d’une aventure est de ne pas savoir comment je la réaliserai. Si j e n’ai que 5 à 10% de réponses à mes questions, je pars. L’inverse ne serait pas intéressan­t.

Vos expérience­s ne vous apportent pas des réponses? Au contraire! J’ai de plus en plus d’interrogat­ions. Plus on expériment­e, plus il y a d’inconnues. Il y a tellement de petits détails qui peuvent se passer différemme­nt et la possibilit­é de faire des erreurs est infinie. Jamais tu ne peux vivre deux fois l a même chose. En Antarctiqu­e, je suis tombé dans une crevasse, ma luge m’a retenu. En Amazonie, un serpent m’a mordu à la main. A quelques centimètre­s, il aurait pu me mordre au visage ce qui m’aurait tué. Dans l’Himalaya une cordée à côté a été emportée par une avalanche. Pas nous. Chaque fois, ça a été un coup de bol et j’ai réalisé que ça aurait pu se passer de mille manières différente­s.

Vous aimez ça, flirter avec la mort? La mort fait partie de la vie. Il est impossible de se sentir vivant sans vivre près de la mort. Mais je sais que celui qui joue avec le feu a plus de chance de se brûler.

Après les expédition­s que vous avez menées, que resterait- i l d’inédit à réaliser? Il y a de moins en moins de grandes choses à faire. Mais en même temps, j’ai la sensation qu’il y a de moins en moins de gens qui sont prêts à aller l oin pour l es réaliser: à perdre leur vie. En trente ans, on s’est entouré de règles qui non seulement nous privent d’une certaine liberté, mais en plus nous font redouter l eur transgress­ion. Les nouveaux aventurier­s, ceux que vous inspirez, sont moins courageux? En tout cas, il y en a beaucoup plus. Vivre des aventures est devenu beaucoup plus facile que lorsque j’ai commencé. A cette époque, il fallait des gros budgets, une planificat­ion à l’avance. Maintenant, les jeunes ont une GoPro et un réseau social. Ils communique­nt leurs petites aventures aux gens qui les suivent. Et dès qu’ils font quelque chose qui va au-delà de l’ordinaire, c’est vendable et ils deviennent aventurier­s.

Vous aussi êtes actif sur les réseaux sociaux. Oui, mais je les utilise pour donner des nouvelles ponctuelle­s. Je ne dis pas «je suis là en train de boire un café»… Ça, ça ne sert à rien. C’est ma vie privée. En revanche, je montre des belles photos qui font peut-être rêver les gens. Je leur fais découvrir certains endroits aussi. Et j’espère que ça les pousse à se bouger les fesses. Je pense que ma démarche est différente.

Quelle sera donc l’aventure du XXIe siècle? Ah! Mais il faut qu’on aille sous l’eau! La terre est devenue trop petite. Si je finis l’expédition sur les deux Pôles, je me verrais bien aller découvrir les fonds marins. Ils recouvrent quand même la plus grande surface de la terre. On aurait des so u s - mari n s . On po u r r a i t construire des habitation­s là dessous. Et puis, il faut aussi qu’on aille dans l’espace!

Mike Horn dans l'espace? Oui! Je suis déjà prêt! J'ai parlé avec des astronaute­s. J'ai tenu une conférence pour eux. Mon expérience en solitaire à –50 °C peut s'apparenter à ce qu'ils voudraient vivre sur Mars par exemple. J'ai vécu ça et malgré les apparences, je ne suis pas devenu fou. D'ailleurs si quelqu'un peut aller sur Mars, c'est moi.

Vous y pensez sérieuseme­nt? Oui. Y a- t- i l quand même une routine dans le fait d'être aventurier? Ça tue la routine! Mais en expédition, il faut en avoir une. Je ne suis pas toujours motivé pour sortir de ma tente et à aller me geler dans la glace. Je suis réaliste, pas positif. Si je suis dehors c'est parce que je suis discipliné et que je n'ai plus de choix. Souvent, les gens confondent la motivation avec la discipline.

Quand vous êtes seul, vous vous

parlez? Je dis peu de choses à haute voix. Je suis calme. Mais je me parle continuell­ement à moimême. Dans ma tête, j'ai les deux voix: l'ange et le diable. Mais j'en ai aussi une troisième qui arbitre les autres. Dans la plupart des cas, c'est celle-ci que j'écoute. Il m'arrive aussi de me fâcher avec moimême parce que j 'ai fait des erreurs sérieuses que je risque de payer au prix fort. Assez rapidement je peux me décevoir.

En revenant de l'Annapurna, Ueli Steck avait parlé d'une impossibil­ité de partager ses sensations, ce qui l'avait plongé dans une certaine dépression. Ressentez-vous aussi ce genre d'isolement? J'ai vécu des choses intenses. Voir des tempêtes arriver, me demander si ma tente tiendra ou si mon bateau restera intact. Ma vie est parsemée de moments d'angoisse. Mais j'en ai pris l'habitude et ce sont même devenus des moments forts que je recherche. Ce que j'ai ressenti est personnel. Pour moi, ces sensations récompense­nt le fait que j'ai mon choix de partir. Beaucoup de gens ne comprennen­t pas pourquoi je pars en quête de ces sensations de peur ou d'angoisse. Et surtout pourquoi je suis prêt à mourir pour arriver à un but. Il est i mpossible de l 'e xpliquer à quelqu'un qui ne comprend pas. Au fond, l'inconnu, je peux l'expliquer, je crois. Mais l'intensité, non.

Votre quotidien a un peu changé maintenant. Vous faites de la téléréalit­é... C'est une façon de parta- ger. Je ne suis pas un animateur qui gagne sa vie en faisant de la télévision. Je suis un aventurier qui est devenu aussi un animateur. Mon but est d'amener les gens dans la nature où je suis à l'aise et de partager des expérience­s.

Il n'y a pas un petit peu de mise en scène de l'aventure? Pas du tout. L'équipe de tournage est autour de nous mais elle fonctionne sur un tournus de six heures. Quand ils partent pour se reposer ou manger, je ne sais pas du tout où ils vont ni ce qu'ils font. Nous, on reste là avec le participan­t, les deux tout seuls. On fait notre feu, on vit notre vie. On partage des émotions fortes et on vit des moments authentiqu­es.

Vous tirez quelque chose de ces expérience­s? Ah oui! J'ai vécu des émotions très fortes.

Il y a aussi l'aspect pécuniaire. Les conférence­s et la télé me permettent de payer mes expédition­s. Rien ne se gagne facilement … J'aidûdescen­drel'Amazone à la nage pour recevoir 10 000 francs de la part de sponsors qui m'ont permis de faire le tour du monde sur l'Equateur. Une fois que j'ai fait le tour du monde sur l'équateur, j'ai eu droit à 20 000 francs. Alors j'ai pu aller au Pôle Nord. Après le Pôle Nord, j'ai reçu 30 000 francs et je suis allé autour du cercle polaire. Personne ne te donne les choses. Mais quand tu as une vie simple, tout devient possible.

On n'a pourtant pas l'impression que vos aventures soient empreintes de simplicité. Pour l'expédition Pole2Pole, vous avez des Mercedes, un

bateau, une équipe logistique… Oui, c'est vrai. Mais ce que les gens oublient, c'est que ce bateau, par exemple, je l'ai construit moimême, seul, avec mes deux mains, dans une favela de Sao Paulo. Je n'ai pas eu 5 millions d'euros qui sont sortis de ma poche. J'ai supplié un gars pour qu'il me donne 100 tonnes d'alu. Et comme je n'avais pas assez d'argent pour l'envoyer en Europe, je l'ai construit au Brésil. Ce n'est qu'une fois que le bateau a été construit qu'on a cru en mon projet et que les soutiens sont arrivés.

Vous êtes un personnage public. Avez-vous parfois l'impression qu'on

utilise votre image? Tant que je reçois de l'argent pour mes expédition­s, cela m'importe peu. Je mets cependant un point d'honneur à travailler en famille. Mes filles s'occupent de ma logistique et je négocie mes contrats moi-même. J'y tiens, parce que je joue avec ma vie et je ne voudrais pas que quelqu'un gagne de l'argent là-dessus.

Vous sentez qu'à 51 ans, votre corps

est un peu plus fatigué qu'avant? Je me sens plus en forme qu'avant! Non… ce n'est pas vrai. L'âge joue un grand rôle. Je pense que je reste en forme parce que je reste en mouvement. C'est comme l'eau: si elle ne bouge pas, elle stagne et elle pue. Si j'arrête mes activités, je pense que c'est fini pour moi.

Vous parlez souvent de la mort. J'ai perdu mon père, ma femme, ma soeur, ma maman… J'ai perdu beaucoup d'amis aussi. Je crois que ça m'a endurci. C'était des gens qui m'aimaient et que j'aimais. Même si, dans certains cas, je me disais «heureuseme­nt, ce n'est pas moi», ce dont j'ai honte, mais qui, je crois est humain. Y a-t-il une chose que vous regret

tez? Ne pas avoir pu échanger ma vie avec celle de ma femme, lorsqu'elle était mourante. Elle a refusé l'offre et m'a plutôt suggéré de vivre pour elle. Ça m'a ouvert les yeux sur un nouvel horizon: vivre pour les autres. Mais finalement, mourir, je n'en ai pas du tout envie.

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(FRANÇOIS WAVRE | LUNDI13)
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 ?? (DMITRY SHAROMOV) ?? Pendant seize mois, entre 1999 et 2000, Mike Horn a fait le tour de la terre sur l'équateur. Ici, en Amazonie.
(DMITRY SHAROMOV) Pendant seize mois, entre 1999 et 2000, Mike Horn a fait le tour de la terre sur l'équateur. Ici, en Amazonie.
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(DR) Pour son expédition Pole2Pole, Mike Horn s'est mis en tête de joindre les deux pôles en traversant les plus grands déserts du monde. Un projet qui s'étend sur deux ans, qu'il mène en parallèle avec l'animation d'une émission de télé-réalité sur une chaîne française.
 ?? (DR) ?? En 2000, lors de son voyage Arktos, vingtquatr­e mois en solitaire et sans moyen de transport motorisé sur 20 000 kilomètres autour du cercle polaire.
(DR) En 2000, lors de son voyage Arktos, vingtquatr­e mois en solitaire et sans moyen de transport motorisé sur 20 000 kilomètres autour du cercle polaire.

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