Le Temps

Nos enfants sont trop stressés

SOCIÉTÉ Une campagne de Pro Juventute appelle les parents et les enseignant­s à laisser les enfants jouer en paix

- CÉLINE ZÜND, ZURICH @celinezund

Entre l’école, les devoirs, le cours de musique, le solfège et l’entraîneme­nt de football, les agendas sont surchargés dès le plus jeune âge. Ils s’épuisent. Pro Juventute, qui gère la centrale d’appel du 147, tire la sonnette d’alarme et a décidé de lancer une campagne de sensibilis­ation. Témoignage­s.

Il est 23h30, Julie* ne parvient pas à trouver le sommeil. Une épreuve importante le lendemain, le sentiment de ne pas être prête et que le temps lui échappe: ce n’est pas la première fois que cela lui arrive. Pétrie d’angoisses, elle se sent épuisée par des journées surchargée­s. Ces symptômes ressemblen­t à ceux d’un adulte en burn-out. Mais Julie* est encore à l’école et n’a que 16 ans.

C’est un exemple parmi les centaines de cas traités par Pro Juventute via le numéro 147, le service conseil de la fondation pour la protection de la jeunesse. Les conseiller­s, qui reçoivent quelque 400 appels par jour, observent avec inquiétude une hausse des cas de stress chez les enfants. Au premier semestre 2017, 29,5% des demandes étaient liées à des «graves problèmes personnels», contre 17,5% en 2012. Entre 2016 et 2017, les appels pour des pensées suicidaire­s sont passés de 3,2 à 4,8%.

Campagne nationale

Dès lundi, la fondation pour la protection de la jeunesse lance une campagne nationale pour sensibilis­er les parents, le personnel éducatif et les enseignant­s sur un phénomène que l’on imagine à tort être l’apanage des adultes. Sous le slogan «Moins de pression. Plus d’enfance», la fondation exhorte les parents à baisser leurs attentes envers leur progénitur­e.

Outre ses observatio­ns sur le terrain, Pro Juventute étaie ses arguments à l’aide d’études menées en Suisse et à l’étranger. En 2014, près d’un tiers (27%) des jeunes de 11 ans souffrent de problèmes de sommeil (contre 19% en 2002) et 15% disent éprouver un sentiment d’abattement et de nervosité, selon une étude HSBC de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS). Quant aux adolescent­s, le surmenage fait partie de leur quotidien: près de la moitié des 15-21 ans se disent «souvent ou très souvent» stressés, selon une autre étude bâloise réalisée en 2015.

L’origine de l’épuisement? «Le temps libre», affirme Urs Kiener, psychologu­e auprès de Pro Juventute. Un temps pas si libre, en réalité. Entre l’école, les devoirs, le cours de musique, le solfège et l’entraîneme­nt de football, les agendas des petits sont surchargés. «Les parents ont les meilleures intentions. Ils veulent s’assurer que leurs enfants aient des activités utiles pour l’avenir. Ou qu’ils soient suffisamme­nt occupés pour ne pas commettre de bêtise. Mais on oublie que leur potentiel se développe aussi durant leur temps libre», souligne Béatrix Wagner, conseillèr­e à Pro Juventute. «Les parents veulent trop vite préparer les enfants à une société orientée vers le succès», renchérit Katja Wiesendang­er, directrice de la fondation. A force de vouloir les préparer à l’avenir, les adultes finissent par en oublier les besoins spécifique­s des enfants.

Ne rien faire, jouer sans règle ni objectifs, être motivé par ses propres envies, laisser libre cours à son imaginatio­n: ces moments d’insoucianc­e se font rares. «Les enfants ne passent que trente minutes dehors sans surveillan­ce, contre trois à quatre heures par le passé», souligne encore Katja Wiesendang­er. Près de 90% des jeunes qui se disent sous pression se plaignent également de n’avoir pas assez de temps libre. La source de stress, finalement, est intérieure: «Ils intègrent très vite les attentes que l’on place en eux et se mettent eux-mêmes la pression», souligne Urs Kiener.

Stress

Mais le tableau n’est pas totalement sombre: «Les enfants se sentent mieux compris aujourd’hui. On leur demande plus souvent leur avis. Ils ont aussi davantage de choix devant eux», fait remarquer le psychologu­e. Or, cette multiplica­tion des possibles ne se traduit pas par davantage de bonheur ou de liberté. Le stress est-il forcément mauvais? N’est-ce pas une réponse physiologi­que d’un humain qui s’adapte à son environnem­ent, en particulie­r chez des jeunes en pleine phase d’apprentiss­age? Le psychologu­e distingue un stress «biologique» d’un stress induit par l’épuisement. Ce dernier peut avoir des conséquenc­es graves chez l’enfant, dit-il: «Il se sent mal, dort mal, il a souvent une faible estime de luimême. Le stress peut conduire à des états dépressifs et des pensées suicidaire­s, qui surviennen­t plus rapidement chez les jeunes que chez les adultes.»

Entre l’école, les devoirs, le solfège et l’entraîneme­nt de football, les agendas des petits sont surchargés

* Prénom d’emprunt

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