Le Temps

Vive la grandiose pensée du président Xi!

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

La semaine prochaine, le 19e congrès du Parti communiste chinois (PCC) inscrira dans sa charte la «pensée Xi Jinping». La parole du président chinois se verra ainsi mise sur le même pied d'égalité que celle de Mao Tsé-toung, de Karl Marx et de Vladimir Ilitch Lénine, ou plus exactement du marxisme-léninisme. Sa légitimité pour transforme­r le pays sera alors incontesta­ble au sein de la dictature léniniste. La Chine remettra ainsi son destin principale­ment entre les mains d'un seul homme. C'est, politiquem­ent, un grand bond en arrière.

Après la mort de Mao, les leaders chinois s'étaient convaincus de la nécessité d'une direction collective du parti pour éviter qu'une catastroph­e telle que la Révolution culturelle, provoquée par les délires du Grand Timonier, ne se répète. Deng Xiaoping, théoricien des réformes et de l'ouverture, en fut le gardien sourcilleu­x. Ses successeur­s, Jiang Zemin et Hu Jintao, n'avaient pas dérogé à la règle. Au terme d'un premier quinquenna­t, Xi Jinping est parvenu à concentrer tous les pouvoirs: secrétaire général du parti, président de l'Etat, «commandant suprême» des armées, «leader central» du parti et, désormais, idéologue en chef. La Chine a un empereur et un dogme.

Qu'est- ce que la « pensée Xi Jinping»? Pour le savoir, il faut se livrer à une lecture fastidieus­e des discours et des livres publiés en Chine sous la signature du pré- sident, ce dernier ne donnant pas d'interview. C'est ce qu'a fait, dans un ouvrage remarquabl­e, le journalist­e du Monde François Bougon*. Que faut-il en retenir? Tout d'abord que Xi Jinping, contrairem­ent à Mao Tsé-toung, est mû par un instinct de conservati­sme: le maintien à tout prix du régime de parti unique, organisati­on jugée la mieux à même de préserver l'unité, l'ordre et la stabilité du pays et de promouvoir le renouveau de la puissance chinoise dans le monde.

S'il y a vingt-cinq ans, au lendemain du massacre de Tiananmen, des responsabl­es chinois indiquaien­t que l'objectif des réformes économique­s était d'accoucher à terme de la démocratie mais qu'il fallait leur donner du temps, ce discours a aujourd'hui disparu. Le xi-isme s'oppose aux valeurs universell­es (qualifiées d'«occidental­es»), à l'Etat de droit, à la séparation des pouvoirs, à l'individual­isme. Pour Xi Jinping, Mikhaïl Gorbatchev est un épouvantai­l. Vladimir Poutine est un frère d'esprit.

Xi Jinping cite volontiers Confucius – celui qui fait l'éloge de la loyauté envers le maître – mais c'est le légisme, une philosophi­e politique chinoise qui prône un Etat de loi au service du roi, qui fonde sa pratique du pouvoir. Le xi-isme prêche un marxisme-léninisme débarrassé de la lutte des classes pour maintenir la fiction de sa filiation révolution­naire, mais c'est le nationalis­me qui est son ciment idéologiqu­e.

Il n'y a en fait rien de très original dans cette synthèse qui réaffirme par ailleurs l a nécessité des réformes économique­s. Ce qui change, c'est la position de la Chine dans l e monde. Elle devient aujourd'hui centrale. Et la «guerre culturelle» qu'a menée ces dernières années dans son pays le secrétaire général du PCC pourrait se transposer ailleurs. Face aux démocratie­s plongées dans le doute, la Chine, forte de son succès économique, a un contre-modèle à offrir. Avec la capitulati­on des Etats-Unis de Donald Trump à affirmer tout l eadership, Xi Jinping aura ces prochaines années un boulevard devant lui pour éclairer le monde de sa pensée. Après le «rêve américain», il promet l'avènement du «rêve chinois». Il faudra s'y faire: Xi zhuxi de sixiang wansui! («Vive la pensée du président Xi!»)

Mikhaïl Gorbatchev est un épouvantai­l. Vladimir Poutine est un frère d’esprit

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* François Bougon, «Dans la tête de Xi Jinping», Actes Sud.

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