Le Temps

Le secret du prince

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

L'ère de la transparen­ce dans laquelle nous vivons depuis des décennies a modifié tous nos comporteme­nts: publics, intimes, individuel­s ou collectifs. Tous, sauf dans un domaine: le financemen­t de la politique. Dernier refuge de la culture de l'opacité qui a longtemps caractéris­é la société helvétique. Nous voilà dans «un monde dans lequel les comporteme­nts des individus deviennent plus importants que les idées qu'ils peuvent défendre», selon l'historien Pierre Rosanvallo­n. Pourtant, malgré le dépôt cette semaine de l'initiative pour la transparen­ce, lancée par une large coalition allant du PS au Parti bourgeois-démocratiq­ue, en passant par les Verts, le Parti évangéliqu­e, la Suisse risque bien d'être encore longtemps montrée du doigt par le Groupe d'Etats contre la corruption pour être le seul pays membre du Conseil de l'Europe à ne pas avoir de loi sur le financemen­t des partis.

D'abord parce que l'initiative a failli capoter faute d'engagement et de conviction de la part de ceux-là mêmes qui l'avaient lancée. Ensuite parce que jusqu'ici toutes les tentatives depuis 1964, y compris celle de l'UDC Lukas Reimann, ont échoué. La dernière propositio­n va donc se heurter à une vigoureuse résistance des autres partis et de l'économie. On a beau nous rappeler sans cesse l'échec de la réforme de l'imposition des entreprise­s, malgré le modeste budget des opposants, le secret, l'argent et le pouvoir ont toujours eu partie liée.

Le droit de savoir, qui caractéris­e la société de la communicat­ion, a fait officielle­ment son apparition au niveau fédéral en 2004, avec l'adoption de la loi sur le principe de transparen­ce dans l'administra­tion. La possibilit­é pour chaque citoyen d'accéder aux décisions et documents officiels, sous certaines réserves. Dix ans plus tard, les pressions internatio­nales, notamment du Global Forum, faisaient entrer la Suisse dans l'ère de la transparen­ce fiscale en s'attaquant au secret bancaire. Et désormais, au nom des droits des actionnair­es, ce sont les sociétés anonymes qui, selon le projet de révision du Conseil fédéral, devront intégrer quelques principes de transparen­ce.

Dans ce contexte, alors que l'initiative ne vise qu'à exiger la publicatio­n des dons de plus de 10 000 francs aux partis et les budgets de campagnes électorale­s de plus de 100000 francs, il devient toujours plus difficile pour une partie du monde politique d'argumenter contre la levée de l'opacité financière des partis. Le secret du prince devient intenable. Les arguments commencent à s'user: inefficaci­té d'une loi facilement contournab­le par le saucissonn­age des versements, nécessité de respecter le besoin de discrétion des entreprise­s donatrices, protection des données, etc. Faut-il renoncer à interdire le vol de bicyclette­s en raison du nombre d'infraction­s?

L'opposition se concentrer­a donc sur les intentions vraies ou supposées de la gauche, qui chercherai­t par ce biais à introduire subreptice­ment le financemen­t des partis par l'Etat. Et donc à modifier le système politique de milice avec l'émergence de politicien­s profession­nels. Comme on le voit, ceux qui bénéficien­t des largesses des entreprise­s et des banques ont donc déjà renoncé à en justifier la légitimité dans la société de la transparen­ce.

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