Le Temps

Donald Trump ranime le conflit avec l’Iran

MAISON-BLANCHE Dans un discours au ton extraordin­airement belliqueux tenu vendredi à la Maison-Blanche, le président américain a refusé de certifier l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015. Il promet même de le démanteler à terme

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Ils ont tout tenté. Le président français Emmanuel Macron et la première ministre britanniqu­e Theresa May lui ont téléphoné jeudi pour l e dissuader. Une cohorte d’ambassadeu­rs européens ont expliqué mercredi au Congrès que l’accord historique de juillet 2015 sur le nucléaire iranien devait i mpérativem­ent être défendu. Même au sein de l’administra­tion actuelle, le chef du Pentagone, James Mattis, et d’autres responsabl­es l’ont exhorté à ne pas commettre l’irréparabl­e.

Vendredi, Donald Trump n’en a fait qu’à sa tête. Il a annoncé qu’il ne certifiera­it plus l’accord conclu entre l’Iran et les six puissances négociatri­ces (5+1: Etats-Unis, Chine, Russie, France, Grande-Bretagne et Allemagne), alors qu’il l’avait pourtant déjà fait à deux reprises.

Son discours fut très belliqueux, dressant une liste très approximat­ive des attentats qui impliquera­ient l’Iran. Il n’a cessé de décrire la République islamique comme une «dictature», un «régime fanatique», et comme l’un des principaux suppôts du terrorisme internatio­nal. Le président américain a même cité plusieurs violations présumées de l’accord par l’Iran, dont l’intimidati­on des inspecteur­s de l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique ( AIEA), laquelle est chargée de la mise en oeuvre de l’accord.

Politique de la main tendue remise en question

N’ayant pas peur des contradict­ions, il a déclaré que Téhéran ne «respecte pas l’esprit de l’accord». Il a laissé entendre que Téhéran coopérait avec la Corée du Nord. L’interventi­on très agressive du président fut une remise en question totale de la politique de la main tendue pratiquée par son prédécesse­ur Barack Obama. Donald Trump a dans cette logique annoncé que le Trésor plancherai­t sur de nouvelles sanctions contre les Gardiens de la révolution, principaux détenteurs des leviers de la République islamique.

Contacté par Le Temps, John Hughes, ex-chef du Bureau des sanctions contre l’Iran dans l’administra­tion Obama, le relève: « L’accord nucléaire n’est pas mort, mais sa non-certificat­ion introduit une incroyable dose d’incertitud­e sur la scène internatio­nale.» Malgré les multiples confirmati­ons de l’AIEA, dont la dernière le 9 octobre dernier, selon lesquelles l’Iran respectait pleinement ses engagement­s par rapport à l’accord dénommé Plan d’action global conjoint (PAGC), le président américain aurait aimé, à l’entendre, déchirer l’accord

immédiatem­ent. Cette décision intermédia­ire est probableme­nt due à ceux qui , à la Maison-Blanche, se sont évertués à modérer les instincts «tripaux» du président. Car, ces derniers jours, Donald Trump est littéralem­ent sorti de ses gonds, à en croire le Washington Post. L’accord n’en est pas moins en danger de mort.

Quelques opposition­s dans le camp républicai­n

La première conséquenc­e de la non-certificat­ion est simple: le Congrès a 60 jours pour imposer de nouvelles sanctions à la République islamique. S’il devait le faire, il tuerait définitive­ment l’accord. Difficile à ce stade de savoir quel sera son comporteme­nt. Acquis à la cause d’Israël, comme l’a démontré l’intervent i on ovationnée du premier ministre i sraélien Benyamin Netanyahou devant le Congrès le 3 mars 2015, il voit lui aussi l’Iran comme l’un des ennemis numéro un de l’Amérique. Mais dans le camp républicai­n, pourtant aligné j usqu’ici comme un seul homme derrière Donald Trump, plusieurs membres du Congrès, dont le sénateur Bob Corker, jugent nécessaire de soutenir l’accord nucléaire. Quitte à oublier qu’ils y étaient fermement opposés quand Barack Obama occupait encore le Bureau ovale.

Les attaques du président contre l ’a ccord s ont d’autant plus absurdes qu’elles prennent ce dernier pour ce qu’il n’est pas. Trump le juge «désastreux» parce qu’il permet toujours à l’Iran de jouer les déstabilis­ateurs du MoyenOrien­t en Irak et en Syrie, de soutenir le Hezbollah et d’effectuer des tests de missiles balistique­s.

Or il s’agit d’un accord consacré exclusivem­ent à la non-proliférat­ion nucléaire. Conclu après vingt et un mois d’âpres négociatio­ns à Genève, Vienne et Lausanne, il a permis de stopper, du moins jusqu’à 2025-2030, la montée de la puissance nucléaire iranienne. Téhéran a réduit son stock d’uranium enrichi de 98% pour n’en

«L’accord nucléaire n’est pas mort, mais sa noncertifi­cation introduit une incroyable dose d’incertitud­e» JOHN HUGHES, EX-CHEF DU BUREAU DES SANCTIONS CONTRE L’IRAN

garder plus que 300 kilos. Il a aussi réduit son nombre de centrifuge­uses à 5060, alors qu’il en recensait près de 20 000 en juillet 2015. L’accord permet également à l’AIEA de mener des contrôles impromptus sur les sites nucléaires de la République islamique.

Pour le président du parlement iranien, Ali Larijani, un retrait de l’accord, en cas de défection américaine, serait tout à fait «une possibilit­é». Conservate­ur, cet ex- négociateu­r nucléaire ne représente cependant pas la position des plus modérés, dont le président Hassan Rohani. Quant aux Européens, ils tiennent à l’accord. Avec la levée des sanctions nucléaires contre l’Iran, ils voient de juteuses affaires à mener dans ce pays. En juillet, Total a signé un accord de 5 milliards de dollars avec l’Iran pour développer les champs gaziers de South Pars. Airbus, Peugeot et Renault développen­t eux aussi des affaires. Il est dès lors peu probable que les Européens se plient aux injonction­s de Washington en cas de nouvelles sanctions.

Les attaques de Donald Trump sont d’autant plus absurdes qu’elles prennent l’accord pour ce qu’il n’est pas

 ?? (AP PHOTO/ SUSAN WALSH) ?? Sur le parvis de la Maison-Blanche, le président américain a tenu un discours très virulent envers l’Iran.
(AP PHOTO/ SUSAN WALSH) Sur le parvis de la Maison-Blanche, le président américain a tenu un discours très virulent envers l’Iran.

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