Derrière l’accord entre Palestiniens: créer un bloc contre Téhéran
Salué par la communauté internationale, l’accord de «réconciliation» entre le Fatah et le Hamas s’inscrit dans un mouvement plus large
Est-il temps de ressortir le vieux dossier du tiroir? Voilà plus de deux ans que la Suisse a mis à disposition une «feuille de route» estampillée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) pour favoriser la «réconciliation» entre les frères ennemis palestiniens: d’un côté, le Fatah au pouvoir en Cisjordanie, et de l’autre, le Hamas qui tient la bande de Gaza depuis 2007.
Or, avec une célérité qui a déconcerté loin à la ronde, les deux factions ont conclu jeudi un accord selon lequel le gouvernement de l’Autorité palestinienne (AP) de Mahmoud Abbas devrait récupérer le contrôle de Gaza d’ici à quelques semaines. Un accord, toutefois, qui soulève autant de questions qu’il apporte d’espoirs.
Détaillée notamment en son temps dans le plan suisse, cette interrogation: que deviendront, en cas d’application réelle de l’accord, les dizaines de milliers de fonctionnaires recrutés en une décennie par le Hamas et qui viennent en doublons d’une administration publique mise en place par l’AP, forte pour sa part de quelque 70 000 fonctionnaires? Alors que la bande de Gaza – pratiquement privée d’eau potable, d’électricité et d’essence – s’enfonce dans la misère, il faudra attendre plusieurs mois pour répondre à cette question cruciale. Et ce, dans le meilleur des cas.
Gaza au centre d’une vaste recomposition
C’est dire que l’accord trouvé jeudi est encore bien loin d’aborder toute une série de questions concrètes. Car l’enjeu est ailleurs: à l’heure où, précisément, l es Etats- Unis de Donald Trump refusent d’épauler l’accord nucléaire avec l’Iran, Gaza est désormais au centre de la vaste recomposition qui s’annonce dans la région.
Le fer de lance de cet accord interpalestinien? Le voisin égyptien, dont le président, Al-Sissi, est en quête désespérée de reconnaissance et d’une réussite sur le plan international. C’est en multipliant les pressions aussi bien sur le Hamas que sur Mahmoud Abbas que Le Caire a apporté la promesse d’un démantèlement du gouvernement du Hamas à Gaza et d’une reprise progressive de tous les ministères par l’AP. Malgré sa puissance (l’Egypte est celui qui tient les clés du point de passage de Rafah, dont dépend l a survie de Gaza), Le Caire a eu toutefois besoin d’alliés. Les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, et derrière eux les EtatsUnis et Israël, ont savamment joué leurs atouts, en appuyant notamment avec force l’«archirival» de Mahmoud Abbas, l’ex-chef de la sécurité et à ce titre l’ancien «homme fort» de Gaza, Mohammed Dahlan.
Mahmoud Abbas, qui jusqu’ici avait freiné des quatre fers, n’avait plus le choix: s’il continuait de désobéir, la suite se passerait sans lui. Car, derrière l’enjeu palestinien, c’est bien la suite qui intéresse ce bloc de pays arabes. Les Etats du Golfe (à l’exception du Qatar mis en quarantaine) évoquent en effet de plus en plus distinctement la possibilité d’une reconnaissance, voire d’une paix en bonne et due forme avec l’Etat hébreu. Avec un mouvement du Hamas en partie neutralisé, et avec un chef de l’AP en sursis, la voie pourrait s’ouvrir à une tentative d’accord plus général dirigé par les Etats-Unis. Avec un seul dessein: rassembler, aussi près que possible d’Israël, un bloc sunnite qui tiendrait tête à l’Iran et à ses alliés.
Intégrer, ou non, le Hamas au sein de l’OLP
Un scénario de politique-fiction? Plutôt une tendance générale qui donne aujourd’hui l’impression de se convertir en vague de fond. Mais, largement utilisées dans un mouvement qui les dépasse, et « réconciliées » aujourd’hui seulement sur le papier, les factions palestiniennes n’ont pas encore dit leur dernier mot. Prochaine étape: intégrer, ou non, le Hamas au sein de l’OLP, l’organisation qui regroupe l es principales tendances palestiniennes. Puis définir qui, à Gaza, contrôlera réellement les deux sources du pouvoir que sont la perception des taxes à la frontière ainsi que les milices liées à la sécurité. Puis, enfin, peut-être, se pencher sur la feuille de route dessinée par la Suisse…
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