Tessin: le débat contre la fumée est rallumé
Précurseur dans le combat antitabac, le canton du sud des Alpes pourrait être le premier à interdire la fumée sur les terrasses, aux arrêts de bus, dans les gares et sur les aires de jeux
Le Tessin pourrait de nouveau se retrouver à l’avant-garde dans le combat antitabac. Déjà, en 2006, près de 80% de sa population votait en faveur de l’interdiction de fumer dans les édifices publics. D’autres cantons ont suivi son sillage et, en 2010, la Confédération a légiféré dans le même sens. Aujourd’hui, quatre motions parlementaires visant à élargir les zones sans fumée sont en voie d’être examinées.
Nadia Ghisolfi n’en est pas à son premier essai. En juin 2016, la députée PDC avait présenté une motion visant à diviser physiquement par un mur ou une vitre les sections fumeurs et non-fumeurs sur les terrasses. L’initiative avait suscité un torrent de critiques, jusqu’à amener certains à la traiter de «taliban». Constatant qu’elle n’avait pas de chances d’être suffisamment soutenue, elle avait retiré sa motion.
Un an plus tard, elle remonte au créneau avec quatre nouvelles motions parlementaires. La première demande la séparation des tables fumeurs et non-fumeurs, sans barrière physique. «De façon à ce qu’une famille puisse réserver une table sur une terrasse à l’extrémité du secteur non-fumeurs, sans subir la fumée de cigarette et sans engendrer de coûts pour le restaurateur», fait valoir l’élue.
Pas de fumée dans les aires de jeux
Une autre motion propose d’interdire la cigarette dans les aires de jeux destinées aux mineurs. Une règle déjà introduite par certaines communes, comme Lugano, notet-elle. «Certains parents écrasent leurs mégots par terre. Cela pollue l’environnement et les enfants peuvent se retrouvent à jouer avec.»
A l’instar d’une initiative adoptée dans d’autres pays, comme l’Australie, la troisième motion suggère de créer un périmètre non-fumeurs de 3-4 mètres à l’entrée des édifices publics. «Certaines entreprises, comme Swisscom et la RSI, ont déjà instauré une telle mesure, pour des motifs sanitaires, mais aussi pour améliorer leur image», indique la députée, soulignant qu’il s’agit simplement de déplacer le cendrier. Enfin, la dernière motion interdirait de fumer aux arrêts de bus et dans les gares.
Depuis le dépôt des motions parlementaires, le vif débat sur la légitimité d’interdire de fumer dans les endroits publics s’est rallumé au Tessin. Comme plusieurs des restaurateurs qu’il représente, Massimo Suter, président de GastroTicino, est opposé à toute mesure supplémentaire brimant la liberté individuelle dans l’espace public. Il se remémore la votation sur l’interdiction de fumer dans les établissements publics d’il y a onze ans. «Personne ne savait à quoi s’attendre. Tout le monde craignait le pire, notamment une baisse de la clientèle. Or, les gens se sont habitués. Tant les clients, les serveurs que les cuisiniers y ont gagné», reconnaît-il. Mais légiférer davantage, de surcroît dans les zones extérieures, serait abusif. «Le civisme et le bon sens doivent prévaloir. Le peuple est assez intelligent pour s’autoréguler. Je le vois sur ma terrasse, si une famille est assise à la table voisine, un fumeur se lèvera pour aller fumer plus loin.»
Bon sens et liberté?
Par contre, pour Alberto Polli, président de l’Association suisse des non-fumeurs, qui lutte pour la prévention, des règles plus strictes sont indispensables. «Pourrait-on laisser le bon sens réguler la chasse ou la circulation routière? Et de quelle liberté parle-t-on? Polluer l’air avec de la fumée de cigarette devrait prévaloir sur le droit de respirer sans s’ i ntoxiquer? » demande-t-il.
Première cause de décès en Suisse, le tabac tue 9000 personnes par année. «La Confédération n’a toujours pas signé la Convention de l’OMS pour la lutte antitabac car elle ne veut pas froisser les multinationales qu’elle héberge, dénonce Alberto Polli. Les motions présentées aujourd’hui sont des petits pas dans la bonne direction et pourraient donner un bel exemple au reste du pays.»
Le député socialiste Henrik Bang rappelle que les parlementaires étaient contre la motion présentée l’an dernier car ils la jugeaient extrême, mais qu’ils prétendaient soutenir des mesures plus «light» concernant des zones sensibles. «Si elles sont cohérentes, certaines motions ont de véritables chances de passer.» ANDRÉE-MARIE DUSSAULT,
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