Le Temps

Ladina Heimgartne­r, la femme qui incarne tous les défis de la SSR

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e LADINA HEIMGARTNE­R, DIRECTRICE DE LA RTR

Presque inconnue j usqu’ici, l a trentenair­e devient numéro 2 à la tête de la SSR, tout en continuant à diriger son antenne rhéto-romanche. Elle se dit prête à se battre pour convaincre la «génération Netflix» de se mobiliser contre l’initiative «No Billag»

Ladina qui? Heimgartne­r! Vendredi 6 octobre dernier, Gilles Marchand a créé la surprise en annonçant qu’une jeune Grisonne de 37 ans devenait sa suppléante à la tête de la SSR. Cette fille d’hôteliers, ancienne étudiante de l’Université de Fribourg, a fait jusqu’à présent une carrière éclair dans le service public. Directrice de la RTR, l’antenne romanche de la SSR, elle pilotera encore le projet Médias et société, afin de rapprocher l’entreprise de la population.

Une «espèce rare»

Femme, jeune, Romanche, venant d’une région périphériq­ue! Ladina Heimgartne­r sourit: elle est consciente d’être une «specie rara» – c’est elle qui utilise le terme. Plus sérieuseme­nt, elle confie: «Il est vrai que mon profil m’a parfois ouvert des portes. Mais une fois nommée, j’ai dû faire mes preuves. Et j’y suis toujours parvenue.»

Elle est née à Scuol, en Basse-Engadine. Son père est un Grison rhéto-romanche et sa mère Argovienne. Ils tiennent un petit hôtel que leur fille n’a jamais songé à reprendre. «Jeune, je voulais devenir détective, car j’adore les polars. Finalement, c’est un métier qui n’est pas si éloigné du journalism­e.» Tout en étudiant la germanisti­que et le rhéto-romanche à l’Université de Fribourg, elle collabore aux Freiburger Nachrichte­n et au Bündner Tagblatt, journal où elle commence sa carrière avant de passer au service public.

A vrai dire, Ladina Heimgartne­r incarne à elle seule tous les défis de la SSR: face à l’initiative «No Billag» qui réclame la suppressio­n de toute redevance radio-TV, la Rhéto-Romanche qu’elle est (à moitié) est mieux placée que quiconque pour défendre une SSR très respectueu­se des minorités. Jeune, elle doit convaincre sa génération de ne pas seulement payer pour les émissions qui les intéressen­t. Elle devra également monter au front pour féminiser les sphères dirigeante­s de l’entreprise: elle est la seule femme à siéger au sein du comité de direction de la SSR, formé de huit membres.

Faut-il dès lors instaurer des quotas? Une question sensible pour Ladina Heimgartne­r, que d’aucuns ont qualifiée de «femme des quotas» lorsqu’en 2014, l’ex-directeur général Roger de Weck l’a nommée à la tête de la RTR. «Aucune femme ne

«Le service public reste une notion très moderne»

souhaite porter cette étiquette», s’agace-t-elle un peu. Elle ne veut donc pas de quotas, même si elle leur reconnaît deux mérites: « Les femmes arrivent plus vite au pouvoir et les jeunes filles ont ainsi des modèles auxquels elles peuvent s’identifier.»

Pas besoin de singer les hommes

A la tête de la RTR, Ladina Heimgartne­r a imposé son style et vite fait taire les critiques: «Je suis diplomate, mais déterminée». On la soupçonne d’appliquer les grands principes qu’elle a appris au curling, son sport préféré à la télévision: travail d’équipe, stratégie à arrêter, concentrat­ion totale sur les points décisifs. Un jour, elle a résumé sa politique des genres dans les sphères du pouvoir en un seul tweet: «Il faut des femmes qui aient le courage de rester femmes et des hommes qui aient le courage de travailler à 80%.»

Pour les femmes: pas besoin de singer les hommes qui élèvent la voix ou tapent sur la table. Pour les hommes: s’imaginer pouvoir faire carrière avec un gros temps partiel. «Dans leur tête, ils ont encore de la peine à l’envisager, mais la nouvelle génération est plus ouverte à un bon équilibre entre travail et vie privée», constate-t-elle.

Dans les Grisons, la nomination de Ladina Heimgartne­r au poste de numéro 2 de la SSR a rassuré la minorité rhéto-romanche, surtout à l’heure où son seul journal, La Quotidiana, est menacé de disparitio­n à la fin de l’année prochaine. «Chez nous, la RTR joue un rôle crucial, non seulement dans le secteur l’informatio­n, mais aussi dans celui de la défense de la langue», souligne le conseiller national Martin Candinas (PDC/GR). Quant à Hanspeter Lebrument, propriétai­re du groupe Somedia, il ajoute: «Je suis très heureux qu’on trouve désormais à la tête de la SSR deux représenta­nts des minorités linguistiq­ues.» Longtemps farouche adversaire de la SSR, le patriarche des médias grisons n’avait jamais tenu des propos aussi positifs envers elle.

La mort de la RTR

Dans l’avenir immédiat, Ladina Heimgartne­r et Hanspeter Lebrument se retrouvent dans le même camp pour combattre l’initiative «No Billag», sur laquelle le peuple suisse votera en mars ou en juin prochains. Grâce à une clé de répar-

tition des recettes protégeant les minorités, la RTR dispose d’un budget de 25 millions et d’un effectif de 170 collaborat­eurs qui produisent un programme radio complet, quelques émissions de télévision et un site internet. Ce que l’on sait moins, c’est que la radio et la TV pr i vé e du g r oupe S o media dépendent eux aussi à près de 70% de la redevance. Inutile de préciser que l’adoption de cette initiative provoquera­it un cataclysme médiatique dans les Grisons. «Ce serait la mort de la RTR et de la SSR, mais aussi des médias audiovisue­ls privés», craint Ladina Heimgartne­r. «Nous serions la seule vraie démocratie d’Europe sans service public, alors que celui-ci est essentiel pour offrir une informatio­n équilibrée lors de nos nombreuses campagnes de votation.»

La campagne sur «No Billag» s’annonce chaude, mais la jeune directrice suppléante de la SSR se dit prête à convaincre «la génération Netflix», celle qui est à l’origine de l’initiative et qui ne veut plus payer pour des contenus qu’elle ne consomme pas. «Je suis confiante. La majorité des jeunes sont toujours sensibles à des valeurs comme la participat­ion et l’engagement dans la société, la véracité des informatio­ns et l’éthique. Soit toutes ces valeurs que recouvre le service public, qui reste une notion très moderne.»

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(FRANÇOIS WAVRE | LUNDI13) Ladina Heimgartne­r dirige la Radiotelev­isiun Svizra Rumantscha, l’antenne romanche de la SSR.

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