Le Temps

Genève affiche ses ambitions pour devenir une cybercapit­ale mondiale

- DEJAN NIKOLIC ET SÉBASTIEN RUCHE @DejNikolic et @sebruche

Le canton rêve de devenir une plaque tournante de la nouvelle économie. Les initiative­s se multiplien­t dans ce sens, avec le lancement des Geneva Digital Talks et un projet visant à faire du bout du Léman un hub des cryptomonn­aies

Genève abriterait déjà plus de 50% des discussion­s relatives aux politiques numériques. L’avenir d’Internet se joue-t-il au bout du Léman? Le canton a en tous les cas pris son bâton de pèlerin pour lancer ce jeudi la première session des Geneva Digital Talks (GDT), une initiative visant à cadrer la Toile. Comment? En réunissant autour d’une même table des expertises gouverneme­ntale, scientifiq­ue, juridique, technique, économique et sociale, en quête de compromis numérique.

Objectif: élaborer, sans tabou, un nouveau blindage réglementa­ire adapté à la cybersécur­ité. Une feuille de route genevoise doit être remise à l’occasion de l’Internet Governance Forum, qui se tiendra au bout du Léman du 17 au 21 décembre prochain, en présence notamment de Brad Smith, le président de Microsoft, à l ’origine de l ’appel à signer une «convention de Genève numérique» pour protéger les internaute­s des cyberattaq­ues.

Le bout du Léman, complément­aire à la Californie

La démarche pluridisci­plinaire, dont Digitalswi­tzerland est l’une des parties prenantes, est également censée profiler le canton en tant que hub mondial des technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion, autant qu’en haut lieu internatio­nal de gouvernanc­e d’Internet. «Il y va de la stabilité de la planète», résume Pierre Maudet, ministre genevois de la Sécurité et de l’économie.

Premier constat articulé lors des GDT, qui a réuni des représenta­nts de multinatio­nales et du secteur public, des startupers ainsi que des émissaires de l’Internet Society, de l’Icann, en passant par des fonctionna­ires de la Genève internatio­nale: le cyberespac­e ressemble à un champ de mines. «Aujourd’hui, dans le cadre d’opérations humanitair­es, la notion de vulnérabil­ité numérique est devenue critique » , souligne Yves Daccord, directeur général du CICR.

L’écosystème genevois et celui de la Silicon Valley pourraient se compléter. «Nous aurions alors un bon équilibre entre innovation débridée et responsabi­lité envers les usagers», imagine Jovan Kurbalija, directeur de la DiploFound­ation et à la tête de la Geneva Internet Platform.

Chaque année, la quantité de données échangées en ligne augmente de 26%. Et, chaque seconde qui passe, 95 mots de passe sont piratés dans le monde. «Le défi consiste à réinventer Internet pendant que les gens l’utilisent, indique James Larus, doyen de la Faculté informatiq­ue et communicat­ions de l’EPFL. C’est comme de réparer un avion alors qu’il est en plein vol.»

Selon Stéphanie Frey, directrice générale de Deutor Cyber Security Solutions Switzerlan­d, les gouverneme­nts ne peuvent pas faire grandchose seuls dans leur coin. «Le plus urgent, c’est d’éliminer l’ignorance du public autour des risques de piratage», insiste-t-elle. Et la spécialist­e de renchérir: «La politique de la carotte est moins efficace que celle du bâton. Il faut punir sévèrement les infraction­s au code de bonne conduite en informatiq­ue.»

Vers des sanctions financière­s

Le règlement général sur la protection des données (GDPR en anglais) est le nouveau texte européen de référence en matière de sécurité des informatio­ns électroniq­ues à caractère personnel. A compter de mai prochain, il donne notamment aux régulateur­s le pouvoir d’infliger des sanctions financière­s allant jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial annuel d’une entreprise s’étant mal comportée.

«Je vois difficilem­ent comment sanctionne­r efficaceme­nt les Google, Amazon et autres Facebook, déplore Antonio Gambardell­a, directeur de Fongit à Genève. La capitalisa­tion des six plus grandes multinatio­nales actives dans le numérique représente à elle seule 2000 milliards de dollars. Ce ne sont plus uniquement des forces économique­s, mais des acteurs politiques et sociaux à part entière.» Moralité: leurs dirigeants sont appelés à se responsabi­liser et, dans l’idéal, apporter leur pierre à l’édifice des Geneva Digital Talks.

En parallèle, Genève voit également se multiplier les conférence­s et autres forums dédiés à d’autres aspects des nouvelles technologi­es, comme le bitcoin et la blockchain. «Nous voulons lancer la discussion et faire en sorte que Genève embrasse cette nouvelle révolution», explique au Temps Yves Bennaïm, entreprene­ur et consultant en cryptomonn­aies, qui a organisé jeudi le premier de ses «cryptobrea­kfast».

Selon lui, la ville du bout du lac possède tous les atouts pour devenir le «Wall Street 2.0», c’est-à-dire une place majeure pour les nouvelles formes de finance. Le canton de Zoug, déjà fermement positionné en tant que «cryptovall­ey», serait pour sa part l’équivalent de la Silicon Valley, un terrain fertile pour l’innovation. Pour rattraper son retard, Genève doit rapidement instaurer «une coopératio­n entre tous les acteurs locaux, et modifier la fiscalité ou la réglementa­tion», conclut Yves Bennaïm.

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(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) Le canton de Genève veut se profiler autant en hub mondial des technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion, qu’en haut lieu internatio­nal de gouvernanc­e d’Internet.

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