Le Temps

Les malheurs de Siri

- STÉPHANE GARELLI PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRA­TION DU «TEMPS»

Les applicatio­ns d’assistants personnels électroniq­ues et leur voix suave changent notre vie. Sur notre téléphone, dans notre tablette ou sur la table du salon, elles écoutent tout et prédisent nos besoins. Siri d’Apple est la plus célèbre. Elle cache un étrange destin.

A l’origine, la vraie Siri (Kalvig) présentait la météo à la télévision norvégienn­e. Elle était, disons, très photogéniq­ue. Evidemment, la moitié des Norvégiens tombèrent amoureux d’elle. Et parmi eux, Dag Kittlaus, qui travaillai­t sur la reconnaiss­ance vocale. Il nomma sa société Siri. Quelques années plus tard, Steve Jobs l’appelle et rachète sa société pour 200 millions de dollars. Conte de fées? Pour lui oui, pour l’Europe moins. Siri est une des nombreuses inventions européenne­s, comme Skype ou DeepMind, achetées par les grandes entreprise­s technologi­ques américaine­s.

En Suisse et en Europe, nous n’arrivons pas à créer d’entreprise autour de nos inventions, nous préférons les vendre. Tous les efforts que nous faisons pour soutenir les start-up et leur permettre de se développer sont évidemment louables. Mais ne serait-il pas préférable que ces nouvelles pousses se transforme­nt en entreprise­s plus grandes qui créent de l’emploi et paient des impôts?

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la liste des plus grandes entreprise­s suisses dans le SMI: aucune n’est vraiment nouvelle. Aux Etats-Unis, celles qui caracolent en tête de la capitalisa­tion boursière – Apple, Alphabet, Microsoft, Amazon ou Facebook – ont, toutes, une histoire récente. Et si ces entreprise­s sont innovantes par elles-mêmes, elles sont également extrêmemen­t compétitiv­es pour acquérir des découverte­s faites par les autres.

Entre 2001 et 2006, elles ont acheté 52 start-up technologi­ques en Europe. Pour cela elles utilisent un trésor de guerre incomparab­le: leurs liquidités de trésorerie, qui s’élèvent à plus de 500 milliards de dollars. En général, les entreprise­s américaine­s sont plus agressives dans ce domaine que les européenne­s. Pendant la même période, 82% de toutes les acquisitio­ns de start-up aux Etats-Unis et en Europe ont été faites par des sociétés américaine­s, 21% par des sociétés de la Silicon Valley.

Les efforts que nous faisons pour soutenir l’innovation et nos start-up, y compris leur financemen­t, reviennent peut-être à subvention­ner indirectem­ent la recherche des grandes entreprise­s technologi­ques américaine­s. Beaucoup d’entre elles ont compris qu’il est parfois préférable d’acheter une entreprise qui commence à réussir sur les marchés plutôt que d’investir beaucoup d’argent dans une recherche endogène qui ne donnera peut-être rien…

Pourquoi nos jeunes entreprene­urs créent-ils rarement une entreprise autour de leur innovation? Sans doute parce que les structures économique­s et financière­s le permettent difficilem­ent. Mais c’est aussi une question d’attitude. Etant entreprene­urs dans l’âme, ils ne veulent pas devenir des managers et s’occuper de la gestion d’une entreprise qui deviendrai­t plus grande. Pour la plupart, ils préfèrent vendre leur start-up, encaisser un peu d’argent, améliorer leurs conditions de vie après des années de galère, et peut-être repartir sur une autre start-up.

Pour résoudre ce problème, il faudrait établir en Europe de meilleurs liens entre les managers et les start-up. Chez Google, les cofondateu­rs Larry Page et Sergey Brin ont engagé Eric Schmidt (ancien directeur général de Novell) pour les libérer des contrainte­s managérial­es. Mark Zuckerberg a fait de même avec Sheryl Sandberg (McKinsey) pour Facebook. Quant à Bill Gates, il a laissé son rôle de président du conseil à Satya Nadella pour rester «fondateur et conseiller technologi­que».

Siri n’est pas toute seule dans son malheur. Il fut un temps c’était la population qui émigrait de l’Europe vers les Etats-Unis pour vendre son travail. Aujourd’hui, ce sont nos entreprene­urs pour vendre leurs start-up.

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