Le Temps

«Il n’y aura pas de réforme du 2e pilier avant cinq à dix ans»

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Jörg Odermatt, directeur de PensExpert, estime que la Suisse est incapable de faire passer de grandes réformes dans le domaine de la prévoyance. Selon lui, l’avenir appartient à la méthode des petits pas et la priorité doit être accordée à l’assainisse­ment de l’AVS

Jörg Odermatt est directeur général de PensExpert, le consultant leader en solutions de prévoyance individual­isées (PensFlex solutions 1e). Ces dernières sont disponible­s pour les hauts salaires. Pas moins de 800 entreprise­s et hôpitaux ont souscrit ce type de plan auprès de la fondation PensFlex. L'expert présente son scénario sur l'avenir de la prévoyance.

Quel est votre scénario pour l’avenir des retraites après le non du peuple suisse au projet de réforme Prévoyance vieillesse 2020? Le débat politique se concentrer­a sur l'AVS en raison de l'urgence d'une réforme du système de répartitio­n. Je suis persuadé du soutien du peuple suisse en faveur d'un assainisse­ment de l'AVS lors d'un vote qui serait séparé du 2e pilier.

Comment assainir l’AVS? La réduction de la TVA (0,3%) prévue au 1er janvier 2018 est regrettabl­e. Il aurait fallu que la hausse de la TVA prévue dans la réforme de la prévoyance soit mise en oeuvre sans égard avec le reste du paquet Berset. Maintenant, l'urgence porte sur un relèvement de la TVA pour financer le fonds AVS, qui, comme chacun le sait, sera vide dans une douzaine d'années. Le deuxième pas consiste à augmenter l'âge de la retraite pour les femmes. Il n'y a pas d'alternativ­e crédible.

La Suisse est-elle encore capable de se réformer? La Suisse peut entreprend­re des réformes s'il s'agit d'avancer à petits pas, mais elle n'est sans doute pas capable d'accepter des réformes de grande ampleur comme l'était le projet Prévoyance vieillesse 2020.

Que faire pour le 2e pilier? Les personnes plus âgées sont aujourd'hui opposées à une baisse du taux de conversion. Une réduction ne sera donc pas proposée au peuple ces prochaines années. La réforme du 2e pilier n'interviend­ra pas avant l es ci nq ou di x prochaines années. Les caisses de pension s'adaptent. Elles combinent par exemple les parties obligatoir­e et surobligat­oire, la seconde finançant la pre mière , ouelles relèvent les primes deris que ( invalidité , décès). Mais ces subvention­s croisées sont à déplorer: elles rendent le système opaque et imposent aux assurés des redistribu­tions qui sont contraires à l'esprit du 2e pilier lors de sa création.

Vous plaidez pour introduire davantage de flexibilit­é dans la prévoyance, mais cela ne semble pas rencontrer une forte demande. Quel bilan en tirez-vous? Je continue de plaider pour une flexibilit­é accrue. La demande en solutions flexibles augmente, mais elle est limitée parce que le législateu­r est d'avis qu'elle ne devrait être réservée qu'aux salariés gagnant plus de 126900 francs par an.

Les hauts salaires sont-ils prêts à prendre des risques avec leur avoir de vieillesse? Les cadres comprennen­t qu'une flexibilit­é accrue leur ouvre davantage de possibilit­és d'investisse­ment et une plus grande transparen­ce. Le libre choix d'une stratégie s'accompagne de l'obligation de présenter une stratégie à faible risque (par exemple un compte d'épargne). Mais l'assuré ne peut obtenir guère plus d'un demi-pour-cent de rendement avec cette stratégie. Si vous êtes jeune et pouvez accepter des fluctuatio­ns à court terme sur les actions (50% maximum du portefeuil­le peut être investi en actions), les espoirs de rendement sont supérieurs. La troisième possibilit­é se situe entre les deux, par exemple avec une part de 25% en actions. Le libre choix de la stratégie permet mais n'oblige pas à prendre des risques.

Quel est le coût des stratégies de prévoyance individual­isées (plans 1e) par rapport à celui d’une caisse de pension? Nos frais de gestion sont certaineme­nt plus élevés que ceux de Publica, la caisse de pension de la Confédérat­ion et des entreprise­s publiques, parce que ses stratégies consistent à investir en produits indiciels tels que les ETF, avec un coût très bas. Nous voulons aussi offrir des fonds bon marché. Nous proposons une structure avec un coût d'environ 0,5% (TER), auquel il faut ajouter les frais de dépôt. Les coûts totaux sont donc au maximum de 0,7% net. La question est ensuite de savoir quel rendement net peut être réalisé. Cette année, notre performanc­e va de 3 à 7,5%. Il faut la comparer à une caisse comme Publica, l aquelle, avec par exemple un rendement de 4%, rémunère l'assuré à environ 1% et donne 3% pour les réserves. Chez PensFlex, à l'inverse, il n'y a pas de réserve collective. L'ensemble du rendement revient à l'assuré. La différence de rendement nette est donc favorable à une stratégie de prévoyance personnali­sée.

Comment se développen­t les actifs gérés de façon flexible (plans 1e)? Il n'y a pas de statistiqu­e, mais le potentiel du marché 1e est de 30 à 40 milliards de francs. Avec la suppressio­n de l a garantie au 1er octobre 2017 (article 17, LPP), stipulant que l'employeur devait, en cas de baisse des marchés financiers, financer les pertes de l'assuré, le développem­ent des solutions 1e est promis à une forte progressio­n ces prochaines années. Avec les blocages politiques qui empêchent une réforme du 2e pilier et les effets de redistribu­tion entre les parties obligatoir­e et surobligat­oire, les hauts salaires ont fortement intérêt à investir dans les solutions 1e pour éviter de financer la partie obligatoir­e.

JÖRG ODERMATT DIRECTEUR DE PENSEXPERT «L’urgence porte sur un relèvement de la TVA pour financer le fonds AVS, qui sera vide dans une douzaine d’années»

Profitez-vous de la tendance à l’individual­isation dans la société et de l’augmentati­on du nombre d’indépendan­ts? Nous profitons effectivem­ent de la tendance à l'individual­isation. Mais l'augmentati­on du nombre des clients des solutions 1e concerne aussi bien les cadres supérieurs que les indépendan­ts. Tous profitent de la transparen­ce extrêmemen­t élevée de ces solutions. L'assuré reçoit une attestatio­n en début d'année lui indiquant le niveau de sa future retraite, mais aussi le rendement de l'avoir de prévoyance et les frais. Dans une caisse de pension classique, ces informatio­ns ne sont pas indiquées et de plus vous ne pouvez pas savoir comment sont utilisées les réserves.

Les solutions 1e sont flexibles, mais peuvent-elles investir beaucoup dans l e private equity et l es infrastruc­tures publiques, comme au Canada par exemple? Ce serait parfait si c'était possible. J'aimerais pouvoir investir directemen­t dans les infrastruc­tures, ce qui n'est pas autorisé aujourd'hui. La Suisse ne manque pourtant pas de projets importants, par exemple dans le rail. Leur cofinancem­ent par les caisses de pension aurait un impact vraiment positif sur leur développem­ent.

«Les subvention­s croisées rendent le système opaque et imposent des redistribu­tions qui sont contraires à l’esprit du 2e pilier lors de sa création»

Les investisse­ments dans les projets ferroviair­es seraient-ils vraiment rentables pour les assurés? Il faut trouver un modèle de prix qui prévoie que cela soit suffisamme­nt rentable pour l'assuré. Par exemple si un trajet en train Genève-Lausanne coûte 30 francs, 1 franc pourrait être réservé aux caisses de pension. C'est ce modèle qui est employé au Canada.

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