Le Temps

Les logos des clubs vont droit au but

Devenus des marques mondialisé­es, plusieurs grands clubs européens comme la Juventus, le PSG ou Manchester City ont modifié leur emblème, le simplifian­t souvent à l’extrême. Un choix assumé, malgré les foudres de leurs supporters historique­s

- LAURENT-DAVID SAMAMA @ldsamama

Tout change pour que rien ne change… Sous les arcades de la Piazza Vittorio Veneto, à Turin, on sait combien il importe d’être à l’affût de la nouveauté si l’on veut durer. Forte de ce constat tiré de ses activités industriel­les, la famille Agnelli, propriétai­re de la Juventus, s’est lancée depuis quelques années dans une vaste campagne de modernisat­ion de son club de football.

Baptisée (en anglais) «Black and White and More», la stratégie inclut un rajeunisse­ment de l’effectif des champions d’Italie en titre ainsi qu’un déménageme­nt en 2011 de la «Vieille Dame» vers le Juventus Stadium, devenu «Allianz Stadium» le 1er juillet 2017. Ce petit bijou de technologi­e, volontaire­ment restreint (41 500 places, huitième capacité d’Italie) pour créer la rareté et l’exclusivit­é, est venu remplacer un Stadio Delle Alpi trop froid, mal conçu et inadapté aux usages modernes du football.

Un DJ, une mannequin, Miss Italia mais pas de tifosi

Cette soif de modernité s’est prolongée à l’intersaiso­n avec l’apparition d’un nouveau logo sur le maillot du club. Exit l’historique écusson ovale qui, sous des formes diverses, existait depuis 1907! Empreint des codes du design italien, le nouveau logo consiste désormais en un simple «J» au trait doublé, surplombé du mot «Juventus», le tout affiché en blanc sur fond noir.

La petite révolution juventina a été menée, en externe, par la branche italienne du cabinet de conseil en stratégie Interbrand. «Il s’agit là d’un design à la fois simple et iconique, basé sur des lignes précises destinées à attirer l’oeil, explique Manfredi Ricca, Chief Strategy Officer, en charge du dossier. Cette nouvelle identité visuelle a été pensée avec l’objectif d’amener le club vers de nouveaux sommets, des horizons inattendus.»

Pour l’occasion, le club piémontais avait mis les petits plats dans les grands. Dans l’enceinte du musée national des Sciences et de l a Technologi­e de… Milan, l a Vieille Dame avait convié quelques centaines d’invités triés sur le volet, parmi lesquels le mannequin Emily Ratajkowsk­i, le DJ Giorgio Moroder et une ancienne Miss Italie. Mais aucune trace de tifosi… De quoi agacer les supporters, déjà réticents à l’idée d’adop-

ter un nouveau blason. « Mon neveu de sept ans en ferait autant», lisait-on sur les réseaux sociaux. Ou encore: «Apparemmen­t ça a pris un an. Une année pour un J.» La fronde virtuelle s’est finalement diluée avec le temps.

Du coté de la direction de la Vieille Dame, on s’est contenté de laisser passer l’orage, persuadé du bien-fondé de la stratégie marketing. Un choix validé par Anthony Alice, directeur du site spécialisé ecofoot.fr: «Au cours des derniers exercices, la Juventus a généré des recettes de merchandis­ing à hauteur de 13,5 millions d’euros. Le club turinois compte un retard important sur les leaders européens du secteur, à l’image du Bayern Munich qui génère plus de 100 millions d’euros de revenus de merchandis­ing par saison. La direction de la Juventus mise sur

son changement de cap pour fortement dynamiser cette source de revenus.»

A Paris, un instrument de conquête

A leur arrivée à la tête du Paris Saint-Germain en 2011, les nouveaux propriétai­res qataris commencère­nt ainsi par retoucher le onze de départ avant de s’atteler à un chantier jugé mineur au premier abord: l’image du club. L’obsession du président Nasser al-Khelaïfi? La Ligue des Champions.

Plusieurs mois durant, l’équipe de communicat­ion du club de la capitale bûcha sur un nouveau logo. La feuille de route était la suivante: créer un blason à la fois simple à comprendre et percutant. Résultat: le «1970» rappelant la date de création du PSG a été supprimé, tout comme le berceau

à fleur de lys emprunté aux armes de la ville de Saint-Germain-enLaye, le lieu de naissance de Louis XIV et du club. Une référence historique volontaire­ment effacée au profit de la marque «Paris».

Guidés par de puissants intérêts économique­s, les nouveaux logos ne s’embarrasse­nt plus de symboles. Il faut désormais aller à l’essentiel. La tour Eiffel. Paris. Dans les colonnes du Monde, le directeur général du club Jean-Claude Blanc précise: «Le PSG doit être une marque mondiale, comme le sont les Lakers de Los Angeles ou les Yankees de New York. Paris est un «territoire libre» qui n’a pas gagné beaucoup de titres, mais il n’y a pas de raison qu’une ville comme Manchester génère davantage de revenus.»

Aujourd’hui, les effets sont là: dans la boutique du club sur les Champs-Elysées, les maillots flo-

qués Neymar ou Mbappé, frappés du nouveau logo, se vendent comme des petits pains! Mais à Paris comme à Turin, si les comptables jubilent, les supporters historique­s font grise mine. «Le PSG est considéré comme une marque pour que des touristes étrangers achètent des maillots», observe Michel Kollar, historien officiel du club. Avant de tempérer: «Pour autant, ce n’est pas les Galeries Lafayette ou le Printemps!»

Je suis City

Au-delà du simple symbole, la question du logo cristallis­e donc l ’évolution du football d’une culture à un business et les tensions que cette mutation provoque. Face à des supporters nostalgiqu­es prônant le respect de valeurs, les poids lourds européens ont fait le choix de devenir des marques globales, plus facilement reconnaiss­ables. Après Paris, Manchester City s’est livré au même exercice. Le résultat: le club mancunien a troqué des armoiries complexes pour un écusson rudimentai­re et aisément identifiab­le.

Le directeur artistique Joachim Roncin, auteur du fameux logo «Je suis Charlie» en janvier 2015, poursuit la réflexion: «Les clubs ont compris qu’ils pouvaient vendre bien plus que des places dans les stades. Le merchandis­ing est devenu une source de revenu considérab­le. De fait, l’identité d’un club se doit d’être attractive. On doit pouvoir porter des maillots de joueurs en dehors des enceintes sportives comme on porte sans problème une casquette des New York Yankees sans jamais avoir vu un match de baseball.»

Un booster de communicat­ion

Dans cette quête de visibilité et de nouveaux marchés, le logo joue un rôle essentiel, fonctionna­nt comme un booster de communicat­ion. Rebondissa­nt sur l es exemples de la Juventus et de City, Joachim Roncin poursuit: «Ces nouveaux logos sont très intéressan­ts: l’identité historique des clubs (les rayures, la forme du blason) est conservée, tout en la simplifian­t. C’est la tendance: un bon logo doit être le plus simple possible, et reconnaiss­able instantané­ment sur l’ensemble des supports digitaux mais aussi lors des retransmis­sions télé.»

Simplifier pour mieux régner semble être devenu le maître mot. « Ce sont des symboles, presque des monogramme­s», conclut Joachim Roncin.

«Au cours des derniers exercices, la Juventus a généré 13,5 millions d’euros de recettes en merchandis­ing. Elle mise sur son changement de cap pour fortement dynamiser cette source de revenus» ANTHONY ALICE, DIRECTEUR DE ECOFOOT.FR La question du logo cristallis­e l’évolution du football d’une culture à un business et les tensions que cette mutation provoque

 ?? (MASSIMO PINCA/REUTERS) ?? La Juventus affiche depuis peu un nouvel emblème. L’historique écusson ovale a été remplacé par un double «J» , surplombé du mot «Juventus».
(MASSIMO PINCA/REUTERS) La Juventus affiche depuis peu un nouvel emblème. L’historique écusson ovale a été remplacé par un double «J» , surplombé du mot «Juventus».

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