Le Temps

Pour le Qatar, sept ans de malheur et de rumeurs

- ÉRIC BERNAUDEAU, AFP

Depuis sa désignatio­n en 2010 comme pays organisate­ur de la Coupe du monde 2022, l’émirat suscite soupçons et interrogat­ions. Lui qui voulait projeter une image de modernité semble user de vieilles méthodes

C’est donc un soupçon de «corruption privée» qui a conduit la justice suisse à ouvrir le 20 mars 2017 une enquête rendue publique jeudi, visant à la fois Jérôme Valcke, ancien secrétaire général de la FIFA, déjà suspendu dix ans pour d’autres faits de corruption, et Nasser al-Khelaïfi, PDG de beIN Media et par ailleurs président du Paris Saint-Germain.

Selon le communiqué du Ministère public de la Confédérat­ion (MPC), Jérôme Valcke est soupçonné d’avoir «accepté des avantages indus […] de la part de Nasser al-Khelaïfi concernant les droits médias des Coupes du monde 2026 et 2030». Valcke, tout comme le groupe beIN Media ont rejeté ces accusation­s dès jeudi soir.

Platini a toujours assuré que «ni Sarkozy ni personne» ne lui avait demandé de voter pour le Qatar

Indirectem­ent, c’est encore un mauvais coup porté à l’image du Qatar. Dès l ’attributio­n de l a Coupe du monde 2022 au petit Etat gazier, les suspicions sont nées. Tout remonte au 2 décembre 2010. Ce jour-là, le comité exécutif de la FIFA attribue d’abord le Mondial 2018 à la Russie puis l’édition 2022 au Qatar.

Quand Blatter balance

Sepp Blatter, président déchu et suspendu de la FIFA, s’est toujours défendu en assurant que le Mondial 2022 était promis aux Etats-Unis mais que c’est l’interventi­on de Michel Platini (ex-président de l’UEFA, lui aussi déchu depuis), sur ordre de Nicolas Sarkozy, alors président de la République, qui a fait basculer le vote. Platini n’a jamais caché qu’il avait voté pour le Qatar mais a toujours assuré que «ni Sarkozy ni personne» ne lui avait demandé de le faire. Reste que les justices suisse et française continuent d’enquêter sur les conditions de cette double attributio­n.

Gianni Infantino, lui, reste droit dans ses bottes. A peine élu, en février 2016, le nouveau président de la FIFA assure que le Mondial au Qatar ne sera pas remis en cause. «Sur le Qatar et la Russie, ces décisions ont été prises en 2010 […]. Depuis 2010, il y a eu des bruits, des allégation­s, des spéculatio­ns mais depuis six ans il n’y a rien eu de concret. Donc, à un moment donné il faut être pragmatiqu­e, regarder en avant et organiser la meilleure coupe du monde de l’histoire en Russie en 2018 et au Qatar en 2022.»

Des jobs pour les fils de stars

Le Chilien Harold Mayne-Nichols, ancien président de la Commission d’évaluation du Mondial 2022, avait d’abord considéré le Qatar comme le plus risqué des cinq pays candidats avant de changer d’avis. En 2015, il est suspendu sept ans par la justice interne de la FIFA pour avoir tenté, avec insistance, d’obtenir des places et un emploi pour des membres de sa famille à l’académie Aspire, une école pour jeunes sportifs à Doha.

Peu de temps après le vote en faveur du Qatar, le fils de Michel d’Hooghe, ancien membre belge du gouverneme­nt de la FIFA, obtenait lui un poste de chirurgien au Qatar, tandis que le fils de Michel Platini a longtemps travaillé pour une filiale du groupe QSI, propriétai­re du PSG. «Mon fils a été approché pour travailler pour les Qataris non pas parce qu’il est mon fils mais parce qu’il est un bon avocat», a toujours répété l’ancien numéro 10 de l’équipe de France.

Si en 2015 Coca-Cola ou encore Adidas ont réclamé des réformes à la FIFA, aucun n’a cependant quitté le navire. Emirates et Sony ont certes cessé leur partenaria­t après le Mondial 2014, remplacés notamment par… Qatar Airways, mais la décision avait été prise bien avant.

La nouvelle affaire Valcke/al-Khelaïfi va-t-elle les faire bouger? Le groupe chinois Wanda, partenaire depuis mars 2016, a assuré vendredi qu’il «poursuivra(it) son accord avec la FIFA pour le parrainage des Coupes du monde, qui expire en 2030».

La géopolitiq­ue s’en mêle

«Nous n’allons pas commenter la procédure contre Jérôme Valcke et Nasser al-Khelaïfi, a exposé Adidas pour sa part. Sur le fond, rien n’a changé par rapport à nos positions déjà connues: nous attendons de tous nos partenaire­s qu’ils […] se conforment aux plus hauts standards en matière d’éthique, comme nous le faisons nous-mêmes.» La marque aux trois bandes indique tout de même: «La réputation négative de la FIFA n’est bonne ni pour le football, ni pour la FIFA, ni pour ses partenaire­s.»

La géopolitiq­ue s’est aussi invitée, avec une crise diplomatiq­ue entre Doha et plusieurs des voisins arabes qui dure depuis près de cinq mois. Mardi encore, l e ministre des Emirats arabes unis aux Affaires étrangères a affirmé que l’organisati­on par le Qatar du Mondial 2022 devrait «inclure un rejet de la politique soutenant l’extrémisme et le terrorisme».

Le Qatar s’est dit mercredi certain d’accueillir comme prévu le Mondial, dénonçant la «jalousie mesquine» des Emirats arabes unis qui tentent, selon lui, d’exploiter la crise du Golfe pour l’affaiblir et ternir son image.

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